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la littérature militante.

L’Hôpital. Il n’en a pas non plus l’embarras. Il marche d’une allure plus aisée et plus égale. Il vise à la rondeur cicéronienne ; il étale un peu plus complaisamment en phrases déjà polies des développements généraux et des expansions sentimentales. Mais il a de la vigueur, un enchaînement solide et efficace de raisons, et je ne sais pourquoi, quand on a ses discours du temps de la Ligue, notamment son Exhortation à la paix, ou sa Suasion de l’arrêt rendu en Parlement pour la manutention de la loi salique, on va chercher dans la Harangue de d’Aubray un modèle de l’éloquence politique du temps. Littérairement, le style de d’Aubray, c’est à-dire de Pithou, est plus piquant : mais, à part un ou deux mouvements pathétiques, la force oratoire est moindre. Puis on a la bonne fortune d’avoir dans les œuvres de Du Vair les monuments d’une éloquence réelle [1] qui pendant six années, des barricades à l’entrée du Roi, dans les plus critiques circonstances, fut une arme au service de l’ordre et du droit : on voit alors le genre oratoire vivre véritablement, adapté à son milieu, et faisant son office.

Cela ne dura pas. Du Vair, faisant un traité de l’éloquence française, et des raisons pourquoi elle est demeurée si basse, blâmait le goût de vaine érudition qui gâtait tous les discours ; Pasquier s’en plaignait comme lui. Et les exemples de L’Hôpital, de Du Vair même, montrent combien l’amas des citations curieuses fut alors funeste au progrès de notre éloquence. Cependant les mêmes orateurs nous donnent la preuve que, hormis les discours d’apparat, ils savaient se décharger du fardeau de leur érudition. Il suffit qu’ils soient aux prises avec de rudes réalités, secoués de vraie passion, et dès lors ils ne s’amusent plus à faire montre de leur savoir d’humanistes. Qu’en pleine crise, L’Hôpital parle au roi, Du Vair au Parlement, et tous les deux parlent fortement, simplement, efficacement. Ce qui tua l’éloquence, ce fut le triomphe de la cause que ces deux hommes éloquents servaient : ce fut le triomphe de la royauté. Auguste avait supprimé l’éloquence romaine après, qu’elle avait fourni glorieusement une longue carrière : Henri IV, en pacifiant le royaume, ferma la bouche aux orateurs, qu’à peine on avait eu le temps d’entendre. Les œuvres de Du Vair sont à cet égard significatives : après les sept discours du temps de la Ligue, d’une éloquence simple et vivante, elles n’enregistrent soudain, à

    chefs du parti des politiques, un des plus fermes et adroits adversaires de la Ligue, un des plus énergiques et dévoués restaurateurs de l’autorité royale et de la paix.

    Éditions : Œuvres, Cologne, 1617, 1641. De l’Éloquence française, p. p. Radouant, 1907. — À consulter : Cougny, G. du Vair, Paris, 1857. Aubertin, Chabrier, ouvr. cités ; Radouant, G. du Vair, 1907.

  1. Six discours prononcés à Paris, un à Marseille. Du Vair les a d’ailleurs récrits pour les publier. Il faut y joindre un vif et fort pamphlet, que Du Vair fit courir au commencement de 1594, sous le titre de Réponse d’un bourgeois de Paris à un écrit publié sous lu nom de M. le cardinal de Sega.