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transition vers la littérature classique.

Débutant presque aussitôt que Ronsard, il a soumis son esprit au génie du maitre, il n’a pas modifié son naturel qui l’incline à la facilité négligée, si bien qu’en sa vieillesse il se trouve à l’unisson de Bertaut et de Régnier. Il a cru rédiger la Poétique de la Pléiade : mais, sans y songer, il a adouci, abaissé, réduit les prétentions et les doctrines de l’École : il en a laissé tomber les parties les plus choquantes, et il les tourne naturellement du côté du sens commun et de la vérité moyenne. Il consacre le triomphe des genres antiques, l’élargissement de la langue, et ferme tout doucement la porte aux révolutions, en insinuant le respect de l’usage et de la tradition. Sur un point, il est moins Grec et Romain que ses devanciers de la Renaissance et que ses successeurs classiques : il veut une poésie, une tragédie chrétiennes.

Vauquelin fut un des introducteurs de la satire régulière, qui moralise la vie en la peignant. Avant lui, Du Bellay et De la Taille n’avaient fait qu’y toucher : Vauquelin fit cinq livres de satires, discours d’un bon homme qui sait par cœur Horace, Perse, Juvénal, et qui a ouvert les yeux avec indulgence sur le monde. Il n’est pas de qualité, du reste, à nous arrêter : d’autant que derrière lui nous découvrons Régnier [1]. Celui-là est un poète. Il mourut jeune, à quarante ans, ayant gaspillé sa vie et son talent. Il aima trop le jeu, la table, tous les plaisirs, et la pauvreté l’affola toute sa vie, parce que ses vices étaient plus forts que ses protecteurs et ses pensions.

J’ai vécu sans nul pensement,
Me laissant aller doucement
À la bonne loi naturelle,

disait-il de lui même, et cela est vrai de ses vers comme de sa vie.

Si l’on excepte quelques pièces de commande, il ne sut qu’écrire à sa fantaisie, selon l’impérieuse impression du moment. Une mollesse élégiaque trempe ses stances amoureuses et ses strophes de contrition, dont l’accent rappelle tout à fait Bertaut. Il y a pareille douceur dans ses descriptions champêtres. Mais l’originalité du génie de Régnier est dans la peinture des mœurs. Il fuyait trop la peine pour avoir beaucoup pensé, et l’on n’en attendra pas des idées bien neuves ni bien puissantes. Je ne sais même pas s’il

  1. Mathurin Régnier, de Chartres (1573-1613), neveu de Desportes, fit deux voyages à Rome à la suite du cardinal de Joyeuse et de M. de Béthune, ambassadeur du roi. Sur la fin de sa vie, il fut chanoine de Notre-Dame de Chartres, et eut 2000 livres de pension de Henri IV. — Éditions : 1608, 1612, 1729 et 1733, Londres, éd. Brossette ; 1853, Bibl. Elzév., éd. Viollet-le-Duc ; 1875, Lemerre, éd. Courbet, in-8. — À consulter : Sainte-Beuve, la Poésie au xvie siècle. H. Cherrier, Bibliogr. de Régnier, 1884, in-12. ; J. Vianey, M. Régnier, Hachette, 1826, in-8.