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la préparation des chefs-d'œuvre.

il est d’un temps où le moi commence à paraître haïssable ?

Prenons Malherbe dans ses bonnes pièces, dans ses odes historiques et ses stances religieuses : ce sont des œuvres fortes et simples, où il y a, en vertu même des sujets, plus de conviction que de passion, plus de raisonnement que d’effusion ; le mouvement, la chaleur viennent surtout de l’intelligence. Cela est sobre, juste, fort, exactement proportionne et solidement équilibré : en un mot, cela est complet. Bonnes en elles-mêmes, ces pièces sont, excellentes surtout par les leçons qu’elles donnent : et Malherbe a bien entendu qu’il en fût ainsi. Sa pratique n’est que le reflet et l’effet de sa théorie, où l’ont amené, aux environs de l’an 1600, sa réflexion, le besoin profond de son esprit, et sans doute aussi le contact d’une intelligence telle qu’était celle du président Du Vair.


2. RÉFORME DE LA LANGUE ET DE LA POÉSIE.


Avec une très claire conscience du possible et du nécessaire en l’état présent des choses, Malherbe fit la liquidation générale du xvie siècle. Il fut grammairien autant que poète ; il se donna pour mission de réformer la langue et le vers, et d’enseigner aux poètes à manier ces deux outils du travail littéraire. Avant toute chose, il est de son temps ; et c’est pour cela qu’il réussit. Il ignore les Grecs, et méprise Pindare ; il est plutôt latin ; ou mieux il est tout français, et donne autorité à ceux des Latins qui lui offrent des modèles de son goût intime : aux orateurs tels que Tite-Live, aux moralistes tels que Sénèque, aux gens de savoir et d’esprit tels que Stace. Il méprise les Italiens, en théorie, encore qu’il se laisse aller trop souvent à faire des pointes. Il ne distingue la poésie de la prose que par le mécanisme, non point par la nature de l’inspiration. Dans l’une comme dans l’autre, il demande les mêmes qualités de conception et d’exécution, il poursuit le même résultat, qui est l’éloquence. Aussi sa doctrine, en dehors des règles techniques du vers, s’applique-t-elle à toute la littérature aussi bien qu’à la poésie.

Esprit exact plutôt que vaste, minutieux, formaliste, il s’attache passionnément à perfectionner la langue. Dans sa chambre de l’hôtel de Bellegarde, dont les six ou sept chaises étaient toujours occupées, il donnait des arrêts qui décidaient du sort des mots : de quel ton brusque et rogue, c’est ce que les lourdes incivilités du Commentaire sur Desportes nous permettent aisément d’imaginer. Tout ce qui regardait la pureté du langage était pour lui affaire d’importance. « Vous vous souvenez, dit Balzac, du vieux péda-