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attardés et égarés.

de la race. On peut croire qu’elle fut vraiment, après l’excitation de la Renaissance, une forme nécessaire de l’esprit français : car, dès que l’apaisement des troubles civils et religieux donne le loisir et la sécurité, la littérature et la société se précipitent ensemble de ce côté. Une demi-italienne, la fille d’une Savelli de Rome, Catherine de Vivonne, inaugure la vie mondaine en France vers 1608 : et en 1610, peut-être avant, Honoré d’Urfé commence à publier son Astrée, qui offre un idéal de vie distinguée et charmante.

On a voulu trouver dans l’Astrée [1] l’histoire même de l’auteur et les personnes de la cour de Henri IV. Mais il ne faut recevoir ces clefs qu’avec défiance, malgré la bonne foi de Patru. D’Urfé, qui avait au plus neuf ans quand son frère épousa la belle Diane de Châteaumorand, n’était point un Céladon ni un Silvandre blessé d’amour, et il parait bien que, sa belle-sœur devenue libre, il ne se maria avec elle que par des raisons d’intérêt. On peut aussi, si l’on veut, reconnaître Henri IV dans Euric, et dans Alcidon on dans Daphnide, le duc de Bellegarde ou la duchesse de Beaufort : à coup sûr, le ton n’y est pas ; et même l’inconstant Hylas, même le féroce Polémas n’ont pas les manières ni le reste qui décidaient la marquise de Rambouillet à se retirer chez elle.

Céladon, banni par Astrée qui le croit infidèle, peut se noyer de désespoir dans le Lignon : sauvé par des nymphes, il résiste à l’amour de Galatée, mais il n’ose se présenter devant sa belle tant qu’elle ne révoquera pas l’ordre de son bannissement ; il faudra cinq volumes pour qu’elle se décide, pendant lesquels aussi Silvandre soupirera pour Diane, Hylas se fera gloire d’être inconstant, le sage druide Adamas sera intarissable en bons conseils et bons offices : nymphes et bergères, bergers et chevaliers entre-croisent leurs histoires habilement suspendues, qui se dénoueront auprès de la merveilleuse fontaine d’Amour.

On reconnaît là les thèmes de la pastorale italienne : l’Arcadie de Sannazar, l’Aminte du Tasse, le Pastor Fido de Guarini, voilà les

  1. Biographie : Honoré d’Urfé, né à Marseille en 1568, suivit le parti de la Ligue et la fortune du duc de Nemours, et se retira en Savoie après le triomphe de la cause royale. Il épousa en 1600 sa belle-sœur Diane de Châteaumorand : hormis ce fait, toute l’histoire de leurs amours est un roman calqué sur l’Astrée. Il mourut en 1625. Il a fait, avec l’Astrée, un poème du Départ de Sireine, une imitation de la Diane de Montemayor, qu’il acheva en 1599, et des Épitres morales (Lyon, 1593, in-12).

    Éditions : L’Astrée, 1re partie, 1607, in-8 (I I-XII) ; 2e partie, Paris, 1612, in-8 ; 3e partie, 1619 ; 4e et 5e parties (posthumes), publ. par Baro, secrétaire de l’auteur, 1627. Les cinq parties : Paris, 1633, 5 vol. in-8 ; Rouen, 1647, 5 vol. in-8. — À consulter : Patru, Plaidoyers et œuvres diverses, t. II, p. 889-906, Paris, 1681 ; A. Bernard, les D’Urfé, Paris, 1839, in-8 ; N. Bonafous, Études sur l’Astrée, Paris, 1846, in-8. Sur l’influence de l’Espagne, Brunetière, Études critiques sur l’hist. de la litt. française, t. IV, p. 51-73. — La Diane parut en 1542, et fut traduite en français par G. Chapuis, Lyon, 1582 ; puis par un anonyme, Paris, Du Brueil, 1613.