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la préparation des chefs-d'œuvre.

la littérature de son temps. Il n’est pas cause des œuvres contemporaines de son œuvre : il est très peu cause (cause directe, bien entendu) des œuvres qui ont paru après son œuvre. Mais il est comme la conscience de son siècle : j’aperçois chez lui nettement ce qu’il faudrait beaucoup de peine et de temps pour analyser dans la société et dans la littérature du temps ; il révèle certains dessous, qui expliquent les caractères apparents. À ce titre, on ne saurait lui refuser une place ici.

L’écrivain, en Descartes, a peut-être été surfait. Il a une phrase longue, enchevêtrée d’incidentes et de subordonnées, alourdie de relatifs et de conjonctions, qui sent enfin le latin et le collège. Il la manie avec insouciance, la laisse s’étaler sous le poids de la pensée, sans coquetterie mondaine et sans inquiétude artistique. Il est demeuré étranger au souci de ses contemporains, qui travaillaient la forme : il n’a ni la phrase troussée de Voiture ni l’ample période de Balzac. Il retarde sur eux : il en est resté à Montchrétien, à François de Sales, aux négligences faciles. Au reste, il a de grandes qualités, une plénitude vigoureuse, une justesse exacte, et certaines fusées d’imagination qui font d’autant plus d’effet, éclatant parmi les lignes sévères des raisonnements abstraits.

Deux ouvrages de Descartes marquent surtout dans l’histoire littéraire : le Discours de la Méthode (1637) et le Traité des Passion (1649). Ils se complètent par la correspondance.

Le Traité des Passions, qu’on a trop souvent le tort d’abandonner aux philosophes, est du plus haut intérêt. Je fais abstraction de la physiologie fantaisiste qu’il contient, et qui est celle que le temps permettait : notons-y pourtant la fermeté de la conception générale, qui lie tous les faits moraux à des mouvements de la matière. Descartes ne perd jamais de vue que les passions de l’âme sont accompagnées de modifications physiologiques, qui se traduisent par certaines contractions ou au contraire certaines détentes de certains muscles, en d’autres termes par une sorte de

    Suisse, l’Italie. Il rentre à Paris en 1625, et s’y cache pendant deux ans à tous ses amis, pour sauver son temps et son indépendance. En 1629, il part pour la Hollande, et réside à Leyde, à Utrecht, à Amsterdam, jusqu’à ce que, tourmenté par les théologiens de Leyde, il accepte les offres de la reine Christine : il se rend auprès d’elle en 1649, et meurt en Suède. Il avait supprimé en 1633 son Traité du monde, effrayé qu’il était par la condamnation de Galilée, et c’est pour suppléer en quelque façon à ce grand ouvrage, qu’il donna son Discours de la Méthode. — Édition : Œuvres complètes, éd. Cousin, Paris, 1824. 10 vol. in-8. Œuvres, p.p. Ch. Adam et P. Tannory, t. I-IV, correspondance, Cerf, 1897-1901, in-4. — À consulter Krantz, Essai sur l’esthétique de Descartes, Paris, 1882, in-8 ; Brunetière, Études critiques, etc., t. III et IV ; Fonillée, Descartes, Paris, Hachette. in-16, 1893 ; Liard, Descartes, Alcan, in-18, 1881 ; F. Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, 2 v. in-18, 1868, 2e éd. ; G. Lanson, Hommes et Livres (le Héros cornélien et le Généreux selon Descartes), 1895, in-12 ; L’influence de Descartes sur la litt. française. Revue de Metaphysique, juilet 1896.