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pascal.

Mais par là se découvre à nous une vérité qu’on s’est d’ordinaire refusé à voir : l’ascétisme janséniste de Pascal et les Pensées ne sont pas en contradiction avec le développement antérieur de son intelligence. Il n’y a pas eu de rupture dans sa vie intellectuelle : il y a eu une évolution continue, au terme de laquelle il a tout quitté pour suivre Jésus-Christ. Il n’était ni fou ni malade ; il n’a jamais été plus lui-même, plus maître de sa raison et conscient de ses actes, que lorsqu’il a semblé envahi de la folie religieuse [1]. C’est prendre les choses par le petit côté que de rendre compte de sa conversion par l’état de ses nerfs et l’acuité de ses souffrances. Du moins il faut reconnaître que sa raison aussi le conduisait à Port-Royal. C’était cette raison, en effet, qui renonçait à lui, et non pas lui à elle, lorsqu’elle lui disait qu’elle ne lui donnerait pas la connaissance complète dont il avait soif. Plutôt que de se reposer béatement, comme tant de savants, dans la science des « apparences », puisque la raison ne lui permettait rien de plus, Pascal a tourné ses yeux d’un autre côté : il a cherché s’il n’y avait pas ailleurs une source de vérité, mais de vérité totale et certaine ; il l’a trouvée, et il est allé demander à la foi une connaissance supérieure à celle que procure la raison. Il n’a pas méprisé pour cela la raison, il l’a réduite à son domaine, et il a évalué ce domaine : mais il a tout attendu de l’intuition ; il en a tout reçu, avec cette certitude qui seule pouvait donner la paix à une intelligence impatiente, insatiable comme la sienne, et incapable de s’arrêter dans une demi-science douteuse et relative. Pascal ne serait pas Pascal, si sa foi n’avait satisfait sa raison, et le dévot en lui n’a pas détruit, il a contenté le savant.

J’aurais à parler maintenant du style de Pascal : il faut être, a-t-il dit quelque part, « pyrrhonien, géomètre, chrétien » ; et son style, comme son génie, est tout cela, et tire ses qualités de cette triple essence : une analyse aiguë, un raisonnement puissant, une dévotion passionnée, voilà les éléments qui s’amalgament étrangement et font le style le plus fort, le plus suggestif, et le plus séduisant qu’il y ait. Si on l’étudie de près, on apercevra que le secret de son énergie est dans le procédé scientifique que Pascal applique aux mots, manifestant leur définition et utilisant leurs liaisons dans les emplois qu’il en fait : le respect de leur propriété, et le choix de leur place, tout se ramène là.

Ce style de savant est un style de poète. Dans notre littérature classique, qui n’a guère eu de poètes lyriques que parmi ses grands prosateurs, selon le mot de Mme de Staël, Pascal est un des

  1. Une autre preuve de ce que j’avance, c’est l’extrême difficulté qu’on a pour discerner les Pensées qui ne se rapportent pas au dessein de l’Apologie. Pascal a eu de tout temps l’habitude de jeter sur le papier les idées qui lui venaient.