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littérature héroïque et chevaleresque.

fraiche de l’épopée française. Épique ne signifiera plus primitif et spontané : nous appellerons ainsi ce qui sera beau, grand et simple, et romanesque, le curieux, l’extravagant, le compliqué, l’outré. Certainement l’épique sera en général plus ancien que le romanesque, mais pas beaucoup plus ancien, et pas du tout plus populaire.

Il demeure vrai que nous ne connaissons guère que des remaniements, mais des siècles ne les séparent plus de l’élaboration des légendes qu’ils développent : les premières rédactions ne sont plus d’un autre âge, elles ont été fabriquées dans le même monde, par les mêmes espèces d’hommes, que les remaniements.

M. Bédier pense et nous donne des raisons de penser que les premières rédactions, plus frustes, plus grossières, ont plusieurs fois été perfectionnées dans les remaniements. Il nous fait remarquer de l’intelligence, du talent, un sens juste de la vérité humaine et de la beauté pathétique, dans certaines inventions des remanieurs. Si les remaniements tardifs ont gâté la matière des chansons de geste, les premiers remaniements l’ont souvent embellie.

Regardons donc maintenant les chefs-d’œuvre de notre poésie narrative médiévale en eux-mêmes, pour eux-mêmes, sans souci d’y distinguer l’épopée naturelle du peuple de l’invention artificielle des remanieurs.]


2. PRINCIPALES ŒUVRES ÉPIQUES.


Le Pèlerinage de Charlemagne à Jérusalem, la Chanson de Guillaume récemment découverte, dont la chevalerie Vivien et Aliscans sont le développement, et la Chanson de Roland, voilà les plus anciennes chansons qui nous soient parvenues. La plus belle est la Chanson de Roland.

Celle que nous avons n’est pas celle, certainement, que, à la bataille d’Hastings, Taillefer « qui moult bien chantait », chanta devant le duc Guillaume et devant l’armée normande en allant contre les Saxons. Elle date de la fin du xie siècle. Mais, telle qu’elle se présente à nous dans le texte d’Oxford, c’est vraiment une belle chose[1]. Une grande conception poétique s’est développée

  1. Auteur inconnu. Manuscrit d’Oxford (Bodléienne, 1624, ms. Digly 23) écrit à la fin du xiie siècle, donc postérieur d’un siècle à peu près à la rédaction. Éditions : la Chanson de Roland, ou Roncevaux, du xiie siècle, publiée pour la première fois en français, d’après de ms. De la Bibl. d’Oxford, par Fr. Michel, Paris, 1837, in-8. ; Th. Müller, 3e édit., Gœttingen, 1878, Stengel, éd. Paléographique, Heilbronn, 1878, ; L. Gautier, 20 éditions, chez Mame, depuis 1872 ; Clédat, Garnier, 1870. Traductions : Gautier, 1872 et suiv. D’Avril, 1867 ; Petit de Julleville, 1878. – À consulter : Monin, Dissert. Sur le roman de Roncevaux, Impr. Royale, 1832 (c’est M. Monin qui véritablement découvre le poème). Littré, Hist. De la langue française, t. I. p. 254 et suiv. ;