Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/501

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
479
les mondains.

à une [1] ; je ne fais point ici une galerie de portraits. Il me suffira de prendre pour type du genre l’œuvre supérieure qui contient et dépasse toutes les autres : je parle des Mémoires du cardinal de Retz[2], puisque ceux de Saint-Simon appartiennent décidément au xviiie siècle.

Retz écrivit ses Mémoires après 1671 : mais tout y est antérieur à 1660, esprit et style. Tandis que La Rochefoucauld dément Corneille, Retz le réalise : toute sa vie, son caractère, ses écrits, sont un commentaire perpétuel et une illustration de la tragédie cornélienne. On l’a fait d’Église malgré lui, pour conserver dans la famille l’archevêché de Paris : dès qu’il a reconnu la nécessité d’être prêtre sans vocation, peut-être sans foi, il cesse de regimber ; sa volonté se fixe un but, le ministère ; pour y atteindre, il prêche le bon peuple de Paris, il répand les aumônes ; il est populaire. La Fronde précise ses espérances : il combat, il sert, il trompe la cour, les princes ; il tient le Parlement et le duc d’Orléans ; il négocie à Rome, il y jette cent mille écus ; le voilà cardinal ; c’est une nécessité pour un prêtre qui veut être ministre. Mais la Fronde avorte, et toute son habileté le mène à une prison.

Dans sa ruine, la mort de son oncle lui donne une force avec qui la royauté devra compter : de coadjuteur il devient archevêque de Paris. On négocie sa démission : il la vend, la retire, s’évade. Pendant six ans il lutte désespérément pour sauver au moins les débris de son naufrage. On ne saurait imaginer ce qu’il dépense d’adresse, de ressources et de force d’esprit, d’éloquence, pour obtenir de rentrer en France en gardant son archevêché, où un homme comme lui pourrait recommencer une carrière, sans compter les riches revenus, qu’il ne dédaigne pas ; il faut lire ses lettres pour le connaître. Il fait jouer toutes les machines : en même temps

  1. Principaux Mémoires du xviie s. Je ne nomme pas les Œconomies royales de Sully, qui ne sont pas une œuvre littéraire, et qui sont contestées même comme document historique. Mais on a les Mémoires de Rohan, de Fontenay-Mareuil, de Mme  de Motteville, de la Rochefoucauld, de Mlle  de Montpensier, de Bussy-Rabutin, du marquis de Villars (éd. 1894), de Louis XIV, de Choisy, de Mme  de la Fayette, de Fléchier (sur les grands jours d’Auvergne), de la duchesse de Nemours, de Mme  de Caylus, de La Fare, etc. J’y ajouterai, pour son intérêt chronologique, le Journal de Dangeau. Les Historiettes de Tallemant sont comme les Mémoires des autres du xviie siècle.
  2. Biographie : Paul de Goudi (1613-1679), neveu de l’archevêque de Paris, et son coadjuteur en 1643, s’allia dans la Fronde au Parlement et au duc d’Orléans, sur qui il prit une forte influence. Il se fait nommer cardinal en 1651 par la cour, dont il s’était rapproché en haine des princes. En 1652, on l’arrête ; on l’emprisonne à Vincennes et à Nantes. Pendant sa prison, il devient archevêque de Paris (1653). Il s’évade, et ne rentre qu’en 1662. Il alla à Rome pour diverses affaires (garde corse, etc.) et pour trois conclaves, où l’on élut Clément IX, Clément X et Innocent XI.

    Éditions : Mémoires, éd. princeps, 1717, 3 vol. in-8 ; Œuvres complètes, éd. Feillet et Chantelauze, coll. des Gr. Écriv., 9 vol. in-8, Paris, 1872-1887 (inachevé).