Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/519

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
497
boileau despréaux.

Scudéry ; Chapelain dans la fameuse parodie du Cid ; Chapelain dans la IVe satire ; Chapelain dans le Discours au Roi, Chapelain dans le Dialogue des héros de roman, avec Mlle de Scudéry et Quinault ; Chapelain encore, et Quinault, et Mlle de Scudéry et l’abbé Cotin dans la Satire III ; dans la satire VIII, Cotin ; dans la IXe enfin, dans cet admirable et terrible abatage de réputations, Cotin et Chapelain, avec Quinault, Saint-Amant, Théophile, et vingt autres.

Ce que Boileau immole, ce sont les maîtres de la littérature précieuse, leurs genres et leur goût : les froides épopées avec Chapelain et Scudéry, les romans extravagants avec Mlle de Scudéry, les petits vers alambiqués avec Cotin, la tragédie doucereuse avec Quinault ; c’est la poésie sans inspiration et sans travail, la négligence prosaïque et prolixe, la fantaisie subtile ou emphatique, les sentiments hors nature et les expressions sans naturel. Il fait le procès à toutes les œuvres où manquent et la vérité et l’art. Il oublie le burlesque, qui est pourtant une des principales voies par où la fantaisie aristocratique s’est tirée loin de la nature : mais le burlesque aura son fait dans l’Art poétique.

Cependant Boileau donnait nettement à entendre ses préférences. Il offrait à l’auteur de l’École des femmes des stances courageuses et la satire II ; il opposait l’auteur d’Alexandre à l’auteur d’Astrate ; et dans une dissertation en prose, il osait humilier l’Arioste devant l’imitateur de sa Joconde. Racine, Molière, La Fontaine, ces choix étaient un programme. Peu à peu, le public prit conscience de la valeur exacte des Satires : elles l’aidèrent à débrouiller son propre goût, elles en hâtèrent la maturité et en fixèrent l’orientation. Il y prit le courage de s’ennuyer librement, et de se plaire sans scrupule, selon la propre et intrinsèque vertu des œuvres.

Mais les battus n’étaient pas contents, et rendirent coup pour coup. Cotin, Coras, Boursault, Carel de Sainte-Garde, Saint-Sorlin, Pradon, Bonnecorse [1], de 1666 à 1689, tentèrent d’écraser l’auteur de ces meurtrières Satires. Ils ne surent qu’injurier grossièrement ou chicaner puérilement. Chapelain, pratique et sournois, tout en déchargeant sa bile dans un sonnet et dans des lettres privées, fit retirer par Colbert à Despréaux le privilège, que le roi lui rendit ensuite, pour l’impression de ses œuvres. Mlle de Scudéry cabala pour fermer l’Académie au railleur de Cyrus.

  1. La Satire des satires et la Critique désintéressée, de Colin (1666-1667) ; le Satirique berné en vers et en prose, de Coras (1668) ; la Satire des satires, comédie, de Boursault (1669) ; Défense des beaux esprits de ce temps par un satirique, de Carel de Sainte-Garde (1671 ; Défense du poème héroïque, et remarques sur les œuvres héroïques du sieur Despréaux, de Desmarets de Saint-Sorlin (1674) ; Nouvelles Remarques sur les ouvrages du sieur D., de Pradon (1685) ; le Triomphe de Pradon sur les Satires du sieur D. (1686) ; Lutrigot, de Bonnecorse (1686) ; le Satirique français expirant, de Pradon (1689).