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les grands artistes classiques.

grand, très grand monsieur, le plus fort et le plus adroit artiste qu’on ait jamais vu. Ainsi s’explique la confiance de Boileau en ses « règles » ; elles définissent la perfection absolue, universelle, nécessaire, celle où doivent tendre toutes les œuvres qu’on fera, et d’après laquelle on doit juger toutes les œuvres qu’on a faites. Il y a un type du sonnet, un type de la tragédie, un type de l’épopée : absolument comme dans un problème de mathématiques il y a une solution vraie, à l’exclusion de toutes les autres. Quelque étroitesse de goût résulte nécessairement de ce rigorisme dogmatique.

Boileau a séparé les genres avec trop de précision. On est revenu aujourd’hui de leur confusion, et l’on reconnaît que leur distinction est fondée en raison. Mais il faut que ce soit la nature même qui les distingue et les maintienne, comme elle maintient à peu près les espèces animales. C’est affaire à l’expérience de montrer s’il y a des formes mixtes qui soient légitimes, c’est-à-dire viables et permanentes. Boileau a parqué trop soigneusement les espèces littéraires : il les a multipliées aussi trop facilement. Il a compté comme espèces de simples variétés : élégie, ode, sonnet, ballade, chanson, il n’a pas vu que tout cela, c’étaient les variétés de l’espèce lyrisme ; tout à la description des variétés, il n’a pas aperçu la définition de l’espèce. Il n’a pas saisi non plus le lien plus délicat, mais non moins réel, du bucolique à l’épique.

Il y a, dans le détail du poème, des incohérences ou des erreurs que les principes même de Boileau devaient lui faire éviter. Séduit outre mesure par les anciens, il a loué dans l’églogue précisément le manque de réalité : cédant trop complaisamment au goût mondain, il a préféré la « mignardise » de Térence au robuste naturel de Molière. Il a défini l’épopée comme Chapelain et Scudéry, « un roman héroïque en vers, merveilleux, allégorique et moral » : par superstition d’humaniste, il a, contre Desmarets [1], maintenu la mythologie dans la poésie française comme un système d’élégants symboles, sans s’apercevoir quel démenti il donnait ainsi à son vigoureux réalisme ; et par une légèreté de bourgeois indévot, il a estimé que le « diable » des chrétiens était toujours et partout un objet ridicule : ce théoricien de la poésie fermait tout bonnement la poésie au sentiment religieux.

Mais on a tort de lui reprocher des omissions : dans son Art poétique, il parle des genres poétiques, de ceux où le vers est essentiel, et qui ne subsistent pas quand on l’enlève, comme le sonnet, l’ode, l’épopée, la tragédie même. Mais pourquoi parlerait-il de la Fable ?

  1. esmarets, Discours imprimé dans l’ed. de Clovis de 1673 ; Défense du poèmes héroïque (1674).