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boileau despréaux.

le lisant bien définir les mots dont il se sert, et l’on verra, par exemple, quand il trouve du sublime dans une phrase assez vulgaire d’Hérodote, ou quand Ménage en trouve dans la satire des Embarras de Paris, on verra que pour Boileau et pour Ménage, pour les gens de ce temps-là, le sublime répond à peu près à ce que nous appelons l’intensité expressive du langage.

Voilà, dans ses grandes lignes, la doctrine de l’Art poétique. Le poème eut un très grand succès. Le siècle y reconnut son goût, un peu parce qu’il n’y remarqua que ce qui était adéquat à son goût. La querelle des anciens et des modernes, dont nous parlerons en son temps, montra que l’accord n’était pas parfait entre l’auteur de l’Art poétique et le monde qui l’admirait. Mais, au contraire, l’accord était parfait entre Boileau et le groupe des grands écrivains qui ont illustré la fin du siècle : l’art naturaliste qu’il s’est appliqué à définir nous donne la formule même des chefs-d’œuvre. Il a eu conscience de ce qu’on pouvait faire en son temps, et il a aidé de plus grands génies que lui, La Fontaine, Racine, Molière, à en prendre conscience. De là l’autorité qu’ils lui ont reconnue. Ne serait-il que le théoricien du xviie siècle, sa place dans notre littérature serait grande. Mais il se pourrait que son naturalisme, dans lequel un rationalisme positiviste se combine avec la recherche d’une forme esthétique, et qui pose ces trois termes comme identiques ou inséparables, plaisir, beauté, vérité : il se pourrait que ce fut en somme la doctrine littéraire la plus appropriée aux qualités et aux besoins permanents de notre esprit [1].

  1. Voir les Pensées de Pascal sur le style et sur l’éloquence, notamment éd. Havet, VII, 27, et XXIV, 87.