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racine.

cœur), la tendresse règne sans partage, moins empanachée et sonore, moins subtile et chercheuse du fin du fin, que l’amour précieux ; elle s’étale, fluide, intarissable, désespérante de monotone douceur. Plus de caractères : l’amour égalise les humeurs au lieu de se diversifier selon les humeurs. L’amour dispense Astrate de générosité, de dignité, d’affection filiale même : l’amour est une vertu, la seule vertu.

S’il est beau de se vaincre, il est doux d’être heureux…
L’éclat de deux beaux yeux adoucit bien un crime :
Aux regards des amants tout paraît légitime…
Je ne me connais plus et ne suis plus qu’amant ;
Tout mon devoir s’oublie aux yeux de ce que j’aime.

Ces maximes, que je glane dans Astrate, et qui se retrouveraient en d’autres termes dans tout le théâtre de Quinault, en firent le succès. Cela répondait au besoin du jour. La Fronde était vaincue, et le règne de Louis XIV commençait : la forme supérieure de la vie sociale devenait la vie de cour, brillante et vide ; la noblesse, exclue du gouvernement de l’État, n’avait plus d’autre affaire que de se montrer au roi, et de faire la cour aux dames. Elle trouve son mage fidèle, à ce moment précis, dans les tragédies de Quinault. Le vieux Corneille, quand il fit sa rentrée, dut se mettre, en grommelant, à l’école de son heureux successeur, et l’imita trop pour sa gloire.

Quinault se retira de la tragédie peu après que Racine y fut entré (1670). Il transporta plus tard son goût et ses maximes dans l’opéra [1], à qui il imposa dès sa naissance la fadeur et la fausseté des sujets comme conditions essentielles du genre. Boileau, La Bruyère n’avaient pas tort de mépriser ces livrets trop vantés, où s’étalaient « tous ces lieux communs de morale lubrique ». L’opéra appartiendra, jusqu’à la fin du xviiie siècle, à la littérature, autant et presque plus qu’à l’art musical : nous le verrons exercer par son éclat et ses séductions une réelle et parfois fâcheuse influence sur la littérature.

Avant l’opéra, et par l’effet du même goût s’acclimata en France le ballet. On en dansa dès le xvie siècle ; mais sa grande vogue date du règne de Louis XIII. Ce fut le divertissement favori de la

  1. La Finta Pazza, l’Orfeo que Mazarin fit jouer en 1645 et 1647, puis l’Ercole amante (1660), enfin l’Andromède et la Toison d’or de Corneille (1650 et 1660), préparèrent l’opéra. Puis vint l’abbé Perrin, qui, après avoir fait représenter plusieurs pièces, obtint en 166S le privilège d’une Académie des Opéras en langue française. Lulli se fit céder ce privilège (1672), et prit pour poète Quinault, qui avait déjà travaillé dans un genre analogue, pour Psyché (1670). Les principaux opéras de Quinault sont : Alceste (1674), Atys (1676), Roland (1685), Armide (1690). — À consulter : R. Rolland, Musiciens d’autrefois, 1908 (Les origines de l’opéra. — Lulli).