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racine.

homme ». Mme  de Maintenon le ramena à la poésie dramatique ; elle lui fit écrire Esther et Athalie pour les demoiselles de Saint-Cyr. Esther fut jouée avec pompe (1689). Athalie fut représentée dans une chambre, sans costumes (1691) : nul n’en parla. Mme  de Maintenon avait été prise de scrupules à l’endroit de ces représentations tapageuses qui démoralisaient Saint-Cyr : l’œuvre de Racine en porta la peine, et fut étouffée à sa naissance. Le public mit vingt-cinq ans à s’apercevoir que le poète avait fait là un chef-d’œuvre, et son chef-d’œuvre[1].

Quatre cantiques spirituels (1694), des épigrammes mordantes contre de méchants auteurs et de méchantes tragédies, firent encore voir qu’il gardait toute la vivacité, toutes les ressources de son esprit. Néanmoins il persista dans sa résolution : la piété fut la plus forte. Publiquement attaché à Port-Royal[2], il finit par se sentir moins agréable au roi. On a bâti là-dessus toute une légende : la vérité est que Racine ne fut jamais en disgrâce ; mais son jansénisme déplaisait. Il souffrit de ce refroidissement de la faveur royale avec sa vivacité ordinaire de sentiment : et ses derniers jours en furent attristés. Il mourut le 21 avril 1699, courageusement, chrétiennement, ayant autour de lui, avec sa famille, Valincour et Boileau, ses plus chers amis. On l’enterra, sur sa demande, à Port-Royal, au pied de la fosse de M. Hamon, une âme tendre comme la sienne parmi ces durs logiciens.

Une sensibilité infiniment délicate, un esprit mordant, un amour propre ardent, beaucoup d’impétuosité à suivre le premier mouvement, peu de possession de soi jusqu’à ce que la religion l’eût réglé, voilà ce que la vie de Racine nous montre en lui : c’est une âme de poète, vibrante et passionnée. Retenons aussi ces deux points : son éducation janséniste, et son sentiment du grec ; ils sont essentiels à l’explication de son œuvre[3].

  1. Athalie ne fut mise au théâtre que sous la Régence.
  2. Il a écrit un Abrégé de l’Histoire de Port-Royal, qui est le chef-d’œuvre de la littérature historique au xviie siècle. C’est là mieux que dans Mezeray, Varillas ou Daniel qu’on peut voir ce que l’esprit du temps permettait de faire en ce genre. Racine est aussi excellent prosateur que poète. Ses Lettres sont exquises.
  3. Éditions : Cf. la Notice de l’éd. Mesnard, t. VII, p. 361-427. Œuvres, Barbin, ou Ribou. 1675-1676. 2 vol. in-12 ; Thierry, 1679, 2 vol. in-12 ; Barbin, 1687, 2 vol. in-12. Œuvres, éd. Mesnard, coll. des Grands Écrivains, Hachette, 1865-1873, 8 vol. in-8 et deux albums. — A consulter : D’Olivet, Rem. de grammaire sur Racine, 1738, in-12. M. Souriau, l’Évolution du vers français au xviie siècle. Deltour, les Ennemis de Racine. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. VI. Taine, Nouveaux Essais de critique et d’histoire (1865). F. Brunetière, Études critiques, t. I, Histoire et littérature, t. II, Époq. du th. fr., 5e et 7e conf. Lemaître, Impressions de théâtre, t. I, II, IV ; Racine, 1908. P. Robert, la Poétique de Racine, 1890. P Monceaux, Racine (Classiques populaires). L’abbé Delfour, la Bible dans Racine, 1893. G. Larroumet, Racine, Hachette, 1898. Le Bidois, la Vie dans les tragédies de Racine, 1901.