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bossuet.

rois au temporel ; infaillibilité de l’Église universelle, et non du pape ; primauté du pape, mais égalité essentielle des évêques, comme ses pairs et successeurs directs des apôtres. Bossuet avait préparé une condamnation de la morale relâchée des Casuistes, que la brusque séparation de l’assemblée de 1682 ne laissa pas le temps de voter, mais qu’il reprit et fit passer dans l’assemblée de 1700.

En 1688, Bossuet publia son Histoire des Variations des Églises protestantes, qui fut fort attaquée par les protestants français et étrangers, par Basnage, Burnet, et surtout Jurieu. Il leur répondit par six Avertissements et par une Défense. Il ne voulait pas tant écraser la Réforme que ramener les réformés : il entretint longtemps l’espoir chimérique de rétablir l’unité de l’Église chrétienne. De là sa correspondance avec Leibniz, et des négociations entamées de 1692 à 1694, reprises de 1699 à 1701, qui n’eurent d’autre effet que de mettre à nu l’irréductible incompatibilité de la tradition catholique et du rationalisme protestant.

La plus âpre des controverses où Bossuet se soit mêlé est la querelle du quiétisme, qui devint un duel entre Fénelon et lui. Le quiétisme est une erreur de certains mystiques qui prétendent s’élever à un état de perfection indéfectible, dans lequel leur âme, unie à Dieu, ne fait plus d’actes distincts de foi ou d’amour, ne connaît plus les dogmes définis, n’emploie plus les prières formelles, ne désire plus le salut éternel, s’abandonne passivement à la volonté divine, à toutes les inspirations et suggestions de cette volonté : le pur amour des quiétistes aboutit, en théologie à l’indifférence aux dogmes, en discipline au mépris des autorités ecclésiastiques, en morale à l’abandon de tout l’esprit et de toute la chair aux suggestions de l’instinct intérieur.

L’hérésie quiétiste, condamnée à Rome [1], reparut en France, où elle fut renouvelée principalement par un prêtre et par une femme de mœurs pures et d’imagination désordonnée, par P. Lacombe et par Mme  Guyon. Cette femme séduisante réunit autour d’elle une petite église, fanatique et dévouée ; l’abbé de Fénelon fut gagné, et Mme  de Maintenon, qui laissa l’esprit de Mme  de Guyon se répandre à Saint-Cyr. Bientôt, cependant, cette prudente institutrice s’inquiéta des suites effectives du pur amour ; l’évêque de Chartres, Godet-Desmarais, directeur de Saint-Cyr, la fit revenir de son égarement ; et Saint-Cyr fut fermé à Mme  Guyon. Alors, sur

  1. Molinos, prêtre de l’église de Saragosse, fut emprisonné en 1685, et condamné en août 1687. De 1688 à 1690, la cour de Rome condamna les livres quiétistes parmi lesquels des ouvrages de Malaval et du P. Lacombe, et le Moyen court et facile pour l’oraison, de Mme  Guyon, qui avait paru à Grenoble en 1685 (Œuvres, 1790, 40 vol. in-8o)