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les grands artistes classiques.

le conseil de Fénelon, elle invoqua l’arbitrage de Bossuet, qui, fort occupé d’ailleurs, et peu mystique de sa nature, n’entra dans l’affaire qu’avec répugnance. Mme Guyon lui remit ses Torrents et autres ouvrages pour les examiner (1693). Bientôt après, elle demanda officiellement des juges, qui furent M. de Noailles, évêque de Châlons, Bossuet et M. Tronson, directeur du séminaire de Saint-Sulpice. Des conférences s’ouvrirent à Issy, où les trois commissaires arrêtèrent laborieusement 34 articles qui définissaient la doctrine orthodoxe sur le pur amour et l’oraison. Fénelon, qui, après avoir reconnu formellement l’autorité des commissaires, fit tous ses efforts pour empêcher la condamnation de Mme Guyon, fut associé à la signature des articles (10 mars 1695). Pendant les conférences, le roi le nomma archevêque de Cambrai : après la signature, Bossuet le sacra. Son adhésion finale rassurait sur son orthodoxie.

Tandis que Bossuet, Noailles et l’évêque de Chartres publiaient dans leurs diocèses les articles d’Issy, Fénelon se taisait. Bossuet crut devoir expliquer plus amplement la matière, et composer l’Instruction sur les états d’oraison, dont le manuscrit fut communiqué à Fénelon. Mais, gagnant Bossuet de vitesse, il écrivit secrètement une Explication des maximes des Saints, qui rétablissait la doctrine abandonnée par lui : le livre parut un mois juste avant celui de Bossuet (1697). L’Explication s’annonçait comme un simple commentaire des articles d’Issy : Bossuet et Noailles, auxquels se joignit Godet-Desmarais, protestèrent publiquement. Devant le scandale que fit son ouvrage, Fénelon, après avoir refusé de se rétracter, et même de conférer avec Bossuet, en appela au pape le 18 avril 1697. Ce fut le commencement d’une violente polémique, où ni Bossuet ni Fénelon ne se ménagèrent, l’un plus franchement violent, l’autre plus perfide et déguisant ses violences sous une humble douceur. Pamphlets sur pamphlets arrivaient à Rome, où les agents des deux adversaires combattaient par toutes les armes de l’intrigue. Fénelon, ultramontain, ami des jésuites, avait la faveur de la cour de Rome : Bossuet, gallican, eut besoin d’avoir évidemment raison, et surtout d’avoir de son côté la peur qu’inspirait le roi. La terrible Relation sur le quiétisme (fin 1698) porta le dernier coup à Fénelon, qui fut condamné le 12 mars 1699. Cette grande affaire, où, selon Bossuet, il y allait de toute la religion, l’avait occupé cinq ans.

Au début, cependant, il avait trouvé le temps d’écraser un théatin qui défendait le théâtre : le P. Caffaro se rétracta bien vite après la Lettre de Bossuet, développée ensuite dans les admirables et dures Maximes et réflexions sur la Comédie.

En 1678, il avait fait détruire toute l’édition d’une Histoire cri-