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les grands artistes classiques.

C’était un robuste Bourguignon, de sang riche, de tempérament bien réglé, simple, lucide, franc, sans brutalité comme sans flatterie, ennemi du tortillage et du mensonge. Son style parait dur, parce que la vérité et la logique le règlent, impérieux, parce qu’il explique la tradition, et non sa pensée individuelle : mais, en cela au moins, son style n’est pas l’image de son caractère. Il a l’âme tendre, au contraire, la sensibilité vive : dans quelques écrits somme dans les Méditations et les Élévations, dans quelques lettres, il s’est livré, et l’on a pu voir de quelle ardeur il aimait et son Dieu, et les hommes, et quelques-uns parmi les hommes. Mais, à l’ordinaire, il contenait sa sensibilité ; il montrait un jugement net, une volonté ferme ; il avait la notion du possible et du pratique, le besoin de l’action efficace et précise. Il n’a point connu les chimères, les folies de la pensée, ni celles même de la vertu. Et ce manque absolu d’excès, cette infaillible exactitude qui se tenait toujours aux limites du vrai, du possible, de l’utile, c’est peut-être le point faible de ce grand et excellent homme : il fut trop paisiblement sage et sensé.

Avec sa forte intelligence, ce fut toujours une âme candide, presque naïve. Il fut le plus savant des théologiens, et garda jusqu’à sa mort la foi simple, sans nuages et sans doute, d’un petit enfant. Il expliquait avec pénétration le mécanisme abstrait des passions, des instincts, de l’égoïsme humain, et il crut toujours aux hommes : qui voulut le jouer, le joua. Ce moraliste profond n’avait pas l’ombre de l’intuition psychologique qui fait les politiques, les diplomates ou même les directeurs d’âmes. Il les dirigeait, lui, si discrètement, et de si haut, que, ne se sentant pas asservies, elles ne se croyaient pas dirigées : il se contentait d’offrir, de sa raison à leur raison, des principes généraux de conduite. Il ne voulait pas s’établir dans les profondeurs de leur conscience, de peur de violer leur liberté et de briser leur activité ; s’il eût voulu y entrer, l’eût-il pu ? l’eût-il su ?

La qualité éminente de son esprit, c’est le bon sens, l’amour et le discernement du vrai. Il n’a pas évidemment la liberté critique d’un savant de nos jours : sa raison est soumise à la foi. Mais, d’abord, cette soumission n’est pas une abdication ; elle est volontaire et sans violence : la raison y trouve son compte. Pour Bossuet, tout est obscur, douteux, fragile sans la foi : par la foi, l’univers, la vie, la morale deviennent intelligibles ; de la foi sortent la clarté, la certitude. Il faut que la raison renonce à rien savoir, à rien comprendre, ou bien qu’elle accepte ces dogmes, qui la dépassent, et qui sont la condition de toute connaissance, la source de toute intelligibilité. Sous le contrôle et dans les limites tracées par la foi, la raison de Bossuet s’exerce librement. Au lieu