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les grands artistes classiques.

Pour la langue proprement dite, la date de la naissance de Bossuet nous avertit qu’il devra parler la langue de la première moitié du siècle, celle de Corneille et de Retz plutôt que de Racine et de La Bruyère. Son éducation ecclésiastique nous expliquera qu’elle reste chez lui plus chargée de latinisme dans les tours et dans les sens que chez aucun des écrivains mondains. Bossuet ne se révoltera pas contre le bel usage et contre l’Académie : il en suivra de son mieux les décisions, il se retranchera dans son âge mûr certaines familiarités, certaines trivialités ; il éclaircira et francisera quelque peu sa construction. Mais il ne parlera pourtant jamais la langue académique et mondaine : et la raison eu sera dans son tempérament plutôt que dans son goût. Sa pensée n’est pas assez décharnée et abstraite ; il lui faut des mots et des phrases qui contiennent non pas seulement de l’intelligible, du spirituel, mais aussi, et fort abondamment, du sensible, du concret, du pittoresque ; il lui faut une langue des émotions et des sensations : cela suffit pour qu’il ne parle pas tout à fait la langue des salons.


3. ŒUVRES ORATOIRES DE BOSSUET.


Dans la diversité des ouvrages de Bossuet, le caractère le plus constant et le plus général qui se manifeste, est le caractère oratoire : c’est donc sur l’orateur qu’il faut porter d’abord notre étude. Il nous a développé son idéal dans l’Oraison funèbre du P. Bourgoing et dans le Panégyrique de saint Paul : il demande que l’orateur écarte le bel esprit, mette de côté tout désir de plaire, tire toute la force de son discours de l’étude de l’Écriture, et de l’ardeur de sa foi. Ce n’est pas qu’il doive se priver des moyens humains de l’éloquence : Bossuet ne suit pas M. Vincent jusque-là. Dans une Instruction rédigée pour le jeune cardinal de Bouillon, il indique par quelle préparation se peut former un prédicateur : les ouvrages de l’antiquité profane, quelques livres français, tels que les Provinciales, sont recommandés avec les deux Testaments, les Pères grecs, saint Augustin et Tertullien. L’objet qu’on ne doit jamais perdre de vue, c’est d’interpréter la parole de Dieu pour l’utilité du prochain ; il ne s’agit pas d’ignorer la rhétorique, mais de la manier délicatement ; c’est tout un art que de « faire parler Dieu » avec efficacité.

Bossuet n’y réussit pas du premier coup en perfection. Il y a des traits de génie dans ses sermons de Metz, et jamais il ne fera mieux que dans le Panégyrique de saint Bernard (1653). Mais souvent l’imagination est exubérante ; le style, d’une vigueur tendue