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fénelon.

lorsqu’il établit le rapport des institutions et de la littérature, et qu’il rend compte par la monarchie absolue de l’absence d’éloquence politique en France. Sur l’éloquence en général, il complète, dégage, éclaircit en perfection la théorie des Dialogues : il ramène l’éloquence au raisonnement ; mais il distingue le véritable ordre, naturel et efficace, des divisions scolastiques et sèches ; il enveloppe le raisonnement de passion : il montre la puissance de la sincérité et de la simplicité.

Ce sont ces qualités-là qu’il aime aussi dans la poésie. Après une étrange et bien fausse critique de notre système de versification, où apparaissent les limites de son sens artistique, Fénelon signale le défaut général de la poésie moderne : le trop d’esprit. Son idéal, c’est un beau si naturel, si familier, si simple, que jamais il n’étonne en séduisant toujours : il est ravi du pittoresque et du pathétique de la poésie antique. Il nous découvre une délicatesse de goût sensible surtout à la couleur pittoresque et à la grâce élégiaque. Les hautes parties du lyrique et de l’épique le touchent moins. Il semble qu’André Chénier soit venu réaliser son idéal. Mais n’était-il pas réalisé déjà ? et ne devrait-on pas lui reprocher plus qu’à Boileau, de ne pas nommer La Fontaine, si simplement pittoresque et pathétique ?

Dans les chapitres de la tragédie et de la comédie, il parle du théâtre très librement, avec une réelle largeur d’esprit pour un archevêque : je le juge un peu sévère dans sa critique de nos tragédies où il trouve trop de pompe, des sentiments faux, de la fade galanterie, et un abus monotone des peintures de l’amour ; mais il est à noter qu’il admet Phèdre, et ne blâme qu’Aricie et Hippolyte ; au fond, il a raison dans son goût pour la vérité humaine et la pure passion des tragédies antiques. Il est un peu maigre sur la comédie, un peu dur pour Molière : un peu trop académique de goût, et un peu trop homme de salon, dans sa critique du style de Molière et dans son dégoût du bas comique, un peu trop prêtre dans sa condamnation de la morale de Molière. Néanmoins le mot essentiel est dit : ce prélat « admire » Molière et le trouve « grand ». Du chapitre sur la comédie ressort une préférence de Fénelon pour la comédie sentimentale : son admiration pour Térence oriente la comédie vers le genre larmoyant.

Tout est excellent, tout est neuf dans le chapitre de l’Histoire : il veut qu’une histoire soit philosophique par l’explication des causes, par l’étude des institutions et de leurs transformations, dramatique par la peinture des mœurs, des caractères, par la vraie et vive couleur du récit. Ce sera une œuvre d’art par la composition, les proportions, l’unité. Ressusciter le passé, montrer la vie des peuples et le progrès de la civilisation, voilà l’idée que Fénelon se fait de