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les origines du dix-huitième siècle.

Le xviie siècle est splendidement, peut-être plutôt que profondément, chrétien. La littérature religieuse fournit presque tous les chefs-d’œuvre de notre prose ; l’éloquence religieuse est toute notre éloquence. Nos grands poètes tragiques sont chrétiens. La philosophie cartésienne, dont l’esprit est foncièrement hostile à la foi, se développe dans une forme conciliable avec les dogmes de l’Église, chez Descartes, dans une forme hétérodoxe, mais plus chrétienne encore, chez Malebranche. Un courant de libre positivisme, de naturalisme antichrétien traverse bien le siècle, visible dans les œuvres de deux grands écrivains et dans certains cercles mondains. Mais nulle voix ne met directement en question les principes de la foi : nulle voix surtout n’attaque la puissance de l’Église dans l’ordre temporel. La dispute est entre les églises, entre les sectes ; il ne s’agit que d’orthodoxie et d’hérésie.

La royauté est maîtresse absolue. Les brouillons féodaux qui essaient de troubler les deux régences, sont mis en demeure de sacrifier à leurs intérêts personnels les prétentions traditionnelles de leur caste. Le peuple, sauf un seul jour, ne paraît pas. Tout cède au roi, incarnation de l’État. Aucun mysticisme politique ne se mêle dans le culte de la personne royale : chez tous les penseurs du temps, la royauté est reçue comme garante et protectrice de l’ordre. Sa fonction la fait sacrée. Écartons la flatterie intéressée des courtisans, les serviles théories des commis. Le culte du roi est la forme du sentiment national : on aime le roi par ce qu’il assure de prospérité, de grandeur, de gloire à la France. Mais Louis XIV absorbe et arrête trop en lui-même ces sentiments, tandis qu’un plus pur patriotisme se faisait sentir chez les écrivains antérieurs à 1660.

Le roi dispensant les hautes classes de travailler au bien public, ce loisir développe les relations sociales, et donne un éclat intense à la vie de société. Les salons, où règnent les femmes, prennent autorité sur la littérature, à qui ils fournissent un public : ils l’obligent à se clarifier en s’étrécissant peut-être.

Cependant, dans ses plus belles œuvres, la littérature échappe à l’exclusive domination des salons. De précieuse, elle devient classique ; et j’ai dit ce qu’était proprement le goût classique, une combinaison de la raison positive et du sens esthétique. Les régies, dérivées de la tradition gréco-romaine, sont les conditions d’élaboration de la vérité intelligible en forme d’art.

La vérité, scientifique ou philosophique, est toujours générale. La nature, qui est la même dans l’antiquité et dans le xviie siècle (puisque c’est sur cette identité que se fonde l’imitation des anciens), ne peut être aussi qu’une nature générale. Et ainsi