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précurseurs et initiateurs.

avec le juif hollandais Spinoza, qui inquiéta, épouvanta les penseurs chrétiens, à exclure totalement jusqu’à la possibilité même d’une vérité chrétienne.

Fontenelle [1], qui n’a pas fondé de système, porta sans en avoir l’air un coup violent à la religion : son œuvre ne fut pas théorique, mais pratique. Il révéla au rationalisme mondain son essentielle identité avec l’esprit scientifique : il vulgarisa la science et ses principes. Il acheva d’éveiller dans ces légères intelligences des salons le besoin de tout comprendre, la conviction que l’inexplicable n’est que de l’inexpliqué.

Fontenelle était un neveu des deux Corneille. A l’école de son oncle Thomas, il apprit à écrire facilement et médiocrement dans tous les genres : il fit des vers, une tragédie, des opéras, des pastorales, des lettres galantes ; il avait une sécheresse glacée et spirituelle, une pointe aiguë de style, aucun naturel, aucune spontanéité. Tant qu’il ne fut qu’un faiseur de vers et auteur de théâtre, il justifia les satires de La Bruyère et de J.-B. Rousseau : c’était bien le précieux Cydias, et « le pédant le plus joli du monde ». Il y avait pourtant déjà des vues bien fines, une solide indépendance de jugement sous la délicatesse épigrammatique des Dialogues des Morts (1683). Mais Fontenelle trouva sa vraie voie lorsqu’il composa ses Entretiens sur la pluralité des Mondes (1686), puis lorsque, ayant été nommé secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences (1697), il écrivit l’Histoire de l’Académie et les Éloges des Académiciens : il entra alors tout à fait dans son rôle, qui était d’être le maître de philosophie des gens du monde, d’introduire la science dans la conversation des femmes.

Il fut parfait dans ce rôle. C’était un homme du monde exquis : d’humeur toujours égale, doux, poli, souriant. Un bon fonds d’égoïsme et d’indifférence, l’éloignant de toute passion violente, le faisait souverainement aimable. Il était incapable de s’emporter, de s’échauffer, incapable d’un mouvement spontané, d’un élan irréfléchi. Mais il était intelligent, et à force d’intelligence il

  1. Biographie : Bernard Le Bovier, sieur de Fontenelle, « membre de l’Académie française, de celle des Inscriptions et Belles-Lettres, membre de la Société royale de Londres et de l’Académie de Berlin », naquit à Rouen en 1657. Son oncle Thomas, qui rédigeait le Mercure galant avec de Visé, l’associa à leur travail et à la composition de deux opéras. Fontenelle prit parti pour les modernes dans la querelle soulevée par Perrault (cf. plus haut p. 586). comme il se retrouva aux côtés de La Motte, lorsque le débat se renouvela. Il fit des opéras, des comédies, divers ouvrages de science et de philosophie. Il était très lié avec la marquise de Lambert, et plus tard il fréquenta le salon de Mme  Geoffrin. Il mourut en 1757, presque centenaire.

    Édition : Œuvres, Paris, 1790, 8 vol. in-8. ; Histoire des oracles, éd. critique p.p. Maigron (Textes fr. modernes), — À consulter : l’abbé Trublet, Mémoires pour servir à l’histoire de la vie et des ouvrages de M. de Fontenelle, in-12, 1761 ; Faguet, xviiie siècle. Maigron, Fontenelle, 1906. Laborde-Milaá, Fontenelle, 1905.