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les origines du dix-huitième siècle.

évita la petitesse de l’égoïsme. Il suivait en tout la vérité ; il était juste, il était bienfaisant par intelligence. Seul à l’Académie, il vota contre l’exclusion de l’abbé de Saint-Pierre, contre cette mesure d’hypocrite servilité. Il était libéral, quand on lui demandait ; Mme  Geoffrin disposait de sa bourse en faveur des pauvres : il ne refusait jamais, mais il n’offrait pas. Il n’avouait qu’un sentiment, un commencement de passion : « un peu de faiblesse pour ce qui est beau, disait-il, voilà mon mal ». Il devait dire : pour ce qui est vrai ; mais il était si peu artiste, qu’il ne concevait pas d’autre beauté que celle d’une pensée fine ou d’une démonstration élégamment conduite.

Cette faiblesse ne l’entraîna jamais : il garda toujours une réserve très discrète. « Si j’avais la main pleine de vérités, je me garderais bien de l’ouvrir. » Ce n’était pas timidité intellectuelle, ou prudence personnelle : c’était délicatesse : il haïssait le tapage, le scandale, les luttes brutales ; tout cela était de mauvais ton ; il était trop bien élevé pour faire l’apôtre ou le tribun. Il était trop aristocrate aussi pour semer la vérité à pleines mains, en plein champ. Il estimait que la masse des esprits, peuple ou grands, n’est pas apte à recevoir la vérité, qu’elle est faite pour un petit nombre d’intelligences, où elle ne se déforme pas, et ne porte pas de mauvais fruits.

Il causa de la science agréablement, avec une légèreté, une grâce, une ironie souvent exquises, et, il faut le dire aussi, avec un excès parfois de gentillesse et de galanterie. Il lui arrive de mettre trop de rubans et de pompons à son style, et de tourner l’astronomie en madrigaux ; si la science en est un peu rabaissée, la conquête des salons valait bien quelques sacrifices, et ce n’était pas trop l’acheter que de quelques fadeurs. Mais la grande qualité de Fontenelle, et par où il donna le ton à toute la philosophie du siècle, ce fut la clarté. Il demandait aux dames, pour comprendre sa Pluralité des mondes, tout juste la même somme d’attention dont elles ont besoin pour suivre la Princesse de Clèves. Il exposa le système de Copernic et les découvertes de tous les académiciens de telle sorte que tout le monde entendait et retenait.

Il s’attacha surtout à faire ressortir les règles fondamentales de la méthode scientifique, à y accoutumer les esprits : ne rien croire que par raison, savoir douter, savoir ignorer. « Je ne vois qu’un grand je ne sais quoi, où je ne vois rien », écrit-il à propos des habitants des planètes. Il ne faut pas craindre les nouveautés : toutes les vérités ont été neuves à leur jour. Par une démonstration ingénieusement hardie, Fontenelle établit que la vraisemblance est du côté du paradoxe contre la tradition. Il enfonce dans les esprits la foi au progrès, par le spectacle de toutes les