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comédie et drame.

dences, l’artifice des valets force l’attention et la pitié d’Araminte : de l’attention et de la pitié naissent l’intérêt, qui fait poindre l’inclination. La vanité d’inspirer une passion, la bonne mine du passionné, les contradictions de l’entourage mènent Araminte de l’inclination à l’amour. Dans la diversité des cas particuliers, deux conditions se trouvent toujours : il faut gagner l’attention ; on est sur le chemin d’aimer quand on distingue ; et il faut intéresser la vanité, fut-ce en la blessant ; caressée ou irritée, dès qu’elle est émue, elle fouette le sentiment et fait doubler les étapes.

Il en est du théâtre de Marivaux comme du théâtre de Racine : l’action est tout intérieure. Il ne s’agit à l’ordinaire que d’un oui à faire dire : mais comment ce oui sortira-t-il ? c’est toute la pièce. On y arrive, à ce oui considérable, lentement, sinueusement, mais en marchant toujours.

Marivaux est un peintre délicieux de la femme : ses Silvia, ses Araminte, ses Angélique sont exquises de sensibilité et de coquetterie, d’abandon ingénu et d’égoïsme en défense, de grâce tendre et d’esprit pétillant. Elles sont plus franches et plus faibles que les hommes. Ceux-ci, plus positifs, plus conscients, parce que, généralement, ils sont chargés de l’attaque, sont aussi sincères. Ni les uns ni les autres ne sont proprement des « caractères » : ils représentent des « moments » de la vie, ces moments de jeunesse heureuse, épanouie, belle de sa plénitude et du sentiment qu’elle en a. Tous les hommes ont été, ou ont pu être, plus ou moins, Dorante et Lucidor ; toutes les femmes ont été, ou ont pu être, plus ou moins, Angélique, Silvia, Araminte.

Autour de ses couples d’amoureux, Marivaux groupe diverses figures : les unes qui ont un air de réalité, sans être tout à fait prises dans la vie contemporaine, des pères indulgents et bonasses, des mères parfois tendres, plus souvent, et plus exactement, dures, grondeuses, acariâtres, des paysans trop spirituellement finauds et lourdauds ; les autres, types de fantaisie, des Arlequins, et des Trivelins, des Martons, et des Lisettes, valets et soubrettes délurés, à peine fripons, diseurs de phébus, et parodiant en bouffonneries quintessenciées le fin amour des maîtres.

Telle est cette comédie de Marivaux, si peu comique au sens ordinaire du mot, si solide et si substantielle en son extrême subtilité, d’une pénétrante sentimentalité qui n’est jamais fade ni fausse, puissante parfois par un pathétique intérieur et contenu, où l’on ne sent jamais la tricherie d’un adroit faiseur.