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la lutte pihilosophique.

stincts, qui sont les guides de l’action : il l’aime dans ses passions, où il voit les agents, les ressorts de l’action. Il ne cesse de répéter que les passions qui sont en nous donnent la mesure de notre énergie morale, et que tout le secret de la vertu est de savoir utiliser, diriger, canaliser ces forces naturelles.

Vauvenargues n’a pas eu d’action sur ses contemporains, dont trois ou quatre seulement, Mirabeau, Voltaire, Marmontel, l’ont connu [1]. Mais, tel que ses écrits nous le montrent, nous pouvons l’employer à remplir l’espace qui sépare Jean-Jacques de Fénelon. C’est lui, en effet, et lui seul, dans la première moitié du xviiie siècle, qui, par la nature tendre et passionnée de son âme, par le rôle qu’il assigne dans la vie au sentiment, à la passion, semble continuer Fénelon et annoncer Rousseau ; et l’on pourrait dire que son rôle a été de déchristianiser les idées, les tendances de Fénelon. Cependant il faut bien entendre que je n’établis pas là une transmission d’influences, mais seulement des affinités de nature.


2. LA LUTTE PHILOSOPHIQUE.


Deux journaux firent une guerre acharnée à la philosophie : les Nouvelles ecclésiastiques parlaient au nom du Jansénisme ; le Journal de Trévoux était l’organe des Jésuites. C’était des deux côtés, sous des formes plus âpres ou plus doucereuses, même étroitesse d’esprit, même inintelligence des besoins intellectuels du temps, même indigence de talent et d’éloquence, que ne compensaient pas suffisamment la violence et la malignité. Les évêques intervenaient de leur personne, et par leurs mandements tâchaient de barrer la route aux mauvaises doctrines : mais l’épiscopat n’avait plus de Bossuet ni même de Massillon ; et Le Franc de Pompignan, l’honnête évêque du Puy, Montazet, l’académique archevêque de Lyon, Beaumont, l’intempérant archevêque de Paris, ajoutez-y tous les Boyer, les Languet, les Montillet, ne pesaient pas, à eux tous, le poids des seuls Voltaire et Rousseau.

Le Parlement n’avait guère plus de force conservatrice que l’épiscopat : le zèle aveugle de ses magistrats le discréditait sans sauver la religion ni la société ; les Gilbert de Voisins, les Omer de Fleury, les Séguier, toujours prêts à requérir contre les Lettres anglaises, l’Encyclopédie, le Bélisaire, l’Emile, comme contre l’inoculation, le jésuitisme et l’ultramontanisme, avilirent leur compagnie par

  1. Ni le vol. in-12 publié en 1746 par Vauvenargues, ni la seconde édition, donnée en 1747 par les abbés Trublet et Seguy, ne firent grand bruit. Il se passera cinquante ans avant que le public revienne à Vauvenargues.