Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/842

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
820
les tempéraments et les idées.

-Lambert, les Roucher, sont de mauvais copistes d’un bon original. La mélancolie des Nuits d’Young, les effrénées et vagues effusions de l’Ossian de Macpherson donnent à la loi une satisfaction et un stimulant aux besoins intimes qui portent les cœurs vers les nobles rêveries et les ardents enthousiasmes. C’est, d’un bout à l’autre du siècle un chassé-croisé d’influences entre la France et l’Angleterre. Cependant il serait vrai, je crois, de dire que si beaucoup d’œuvres particulières des écrivains anglais furent chez nous en crédit, aucun mouvement considérable n’a son réel point de départ en Angleterre : nous trouvons dans le courant de notre littérature même, dans les transformations de l’esprit public et des mœurs sociales, dans l’apparition enfin de certaines originalités individuelles, les raisons essentielles de l’évolution du goût et des formes littéraires. Notre xviiie siècle s’est servi et autorisé de l’Angleterre, mais pour abonder en son propre sens, et réaliser ses intimes aspirations. La querelle des anciens et des modernes, Marivaux et Lesage, La Chaussée, Diderot et Rousseau nous font passer de Boileau à Chateaubriand, du goût classique au romantique, sans peine, sans heurt et sans lacune.

Dans le progrès des idées, ce chassé-croisé ne semble pas se produire. Nous entamons peu l’Angleterre : cependant Hume et Gibbon relèvent de nos philosophes, dont l’influence se fera sentir surtout en ce siècle sur le positivisme anglais. Mais, au xviiie siècle, l’Angleterre nous donne sans comparaison plus qu’elle ne nous emprunte. Shaftesbury, Bolingbroke sont des maîtres de pensée indépendante, de doute curieux et libre. Locke fournit à Voltaire son dada métaphysique, la possibilité pour un Dieu tout-puissant d’attacher la pensée à la matière. J’ai dit quelle impression la vie anglaise tout entière avait laissée en Voltaire. Montesquieu n’est pas loin de voir dans la constitution anglaise l’idéal du gouvernement. L’idée de la liberté anglaise devient un lieu commun de l’opinion publique ; le type de l’Anglais franc, indépendant, original jusqu’à l’excentricité, devient un type banal du théâtre et du roman. L’anglomanie se répand dans nos salons à la faveur de la philosophie, et les mœurs françaises s’imprègnent des usages et des goûts de nos voisins : on importe d’outre-Manche les courses de chevaux ; on établit la mode des thés à l’anglaise. Mais ici encore, je crois, la pensée de nos philosophes a été chercher en Angleterre plutôt des soutiens, des exemples, des vérifications que des principes et l’impulsion initiale : c’est chez nous et de nous surtout que les inventions particulières par lesquelles les Anglais avaient mis leurs intérêts intellectuels et matériels, privés et nationaux, dans les meilleures conditions qu’ils pouvaient, ont reçu la valeur rationelle et générale qui en a fait l’efficacité et