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retour a l’art antique.

au rire étincelant », sa Rose « dont la danse molle aiguillonne aux plaisirs », sont de faciles créatures ; et ce qu’il espère, ce qu’il se promet de ses vers, c’est qu’ils soient un code d’amour et de volupté ; c’est qu’ils échauffent les désirs dans les jeunes âmes, et qu’ils éloignent « du cloître austère » la pensée des vierges. [1] Ce Chénier-là est tout proche de Parny.

Mais il a fait les Églogues et les Iambes, et c’est par là qu’il semble se séparer de son temps.

Par ses Églogues gréco-latines, il se rattache au groupe des savants qui, derrière la littérature bruyante des salons et de l’Encyclopédie, retrouvaient l’antiquité, et la représentaient aux artistes. Chénier a connu ce mouvement ; il y a participé ; il l’a propagé dans la poésie. Guys, l’auteur d’un Voyage de Grèce, était des amis de sa famille. Il fréquenta le philologue Brunck, dont les Analecta veterum Græcorum [2] furent une de ses lectures favorites. À Londres, il se procura les poètes latins de la Renaissance italienne, Sannazar et autres : ces reproductions artistiques de la forme antique le ravirent. Son hymne à David sur le Serment du Jeu de Paume, n’est pas seulement une manifestation de libéralisme politique, il y célèbre le génie et le goût du peintre.

Il avait un avantage sur tous ceux qui étudiaient ou imitaient l’antiquité : il était né à Constantinople, et par sa mère, une Santi l’Homaca, il était demi-Grec. Il avait dans le sang, il reçut parmi ses premières impressions d’enfance, quelque chose qui lui permit de comprendre la beauté antique : il la sentait toute voisine de lui et dans une parfaite harmonie avec son intime organisation ; où les autres ne voyaient que des souvenirs de collège ou des décors d’opéra, il saisissait sans effort les réalités concrètes. À son origine, sans doute, il doit ce caractère unique chez nous d’être plus Hellène que Latin : réfractaire même au génie proprement romain, et dans la poésie romaine incapable de saisir autre chose que les reflets de son aimable Grèce, la vraie patrie de son esprit : ses auteurs préférés, avec les purs Grecs, sont les poètes de l’alexandrinisme latin.

Ainsi s’explique qu’il ait pu faire ses églogues, qui sentent si peu le pastiche. L’Aveugle, le Jeune Malade, la Jeune Tarentine, la Liberté, d’autres pièces encore, une foule de fragments inachevés, d’inspirations inemployées sont des œuvres absolument sans pareilles dans notre littérature. Cela a l’air des choses antiques, sans rien d’artificiel : c’est une poésie légère, limpide, plastique, baignée de lumière, aux formes harmonieuses et faciles, qui sem-

  1. Cf. Élégies 23 et 30.
  2. Strasbourg, 1776.