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la littérature pendant la révolution et l’empire. et l’empire.

plus factice, plus médiocre ou plus fausse de pensée. Écartons donc toute cette masse d’écriture inutile, qui n’ajoute qu’un poids mort à notre littérature. Venons à l’essentiel : cette période nous présente trois faits considérables qui intéressent la littérature : la destruction de la société polie, le développement du journalisme, l’épanouissement de l’éloquence politique. Elle nous offre trois grands noms : Mirabeau, Mme  de Staël, Chateaubriand.


1. RUINE DE LA SOCIÉTÉ POLIE.


La Révolution a fermé les salons. En suspendant pendant dix ou douze ans la vie mondaine, elle a soustrait la littérature aux conventions de pensée et aux élégances de diction que celle-ci imposait. Même lorsque les salons se rouvrirent et que la vie de société reprit son cours, jamais l’ancienne tyrannie du goût des gens du monde ne fut rétablie : même sous la Restauration, et à plus forte raison depuis, les plus célèbres salons n’eurent jamais qu’une influence très limitée. Alors que, depuis le xviie siècle, le monde était comme le milieu naturel de l’espèce des écrivains, alors que les ouvrages devaient, pour réussir et vivre, lui être et destinés et adaptés, il arrivera rarement désormais que les écrivains les plus illustres, les plus à la mode même, soient des hommes du monde, et y prennent l’esprit, la couleur de leur œuvre. Cela aura pour premier et sensible effet de reporter du dehors au dedans la règle, la loi de la création littéraire, de rendre l’écrivain dépendant de son seul tempérament, de son propre et personnel idéal : à moins — ce qui arrivera aussi — qu’à la tyrannie du monde ne se substitue la tyrannie des écoles, des ateliers, des sociétés professionnelles, imposant d’absolus mots d’ordre, d’exclusives formules, et décriant la concurrence. En tout cas, jamais depuis 1789 la littérature n’a reçu du public mondain ni impulsion, ni direction. Et cela revient à dire que les femmes ont perdu leur empire presque deux fois séculaire. Je crois, en effet, qu’un des caractères généraux de la littérature qui s’est développée en ce siècle, orientée tantôt vers la science et tantôt vers l’art, c’est d’être une littérature d’hommes, faite surtout par et pour des hommes.

Avec le monde, la Révolution emporta le goût classique. Ce n’est pas parce que les collèges, comme les salons, furent fermés : on les rouvrit. Mais ce qui soutenait le goût classique, c’était le monde, une aristocratie de privilégiés si bien dispensée des spécialisations et des actions professionnelles qu’elle en regardait la marque comme disqualifiant l’honnête homme : alors l’éducation