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influence de la révolution sur la littérature.

pouvait n’avoir pour fin que l’ornement et le jeu de l’esprit. Mais la constitution démocratique de notre société a donné place à l’éducation scientifique, aux études techniques et spéciales, à côté, même au-dessus des lettres pures : le public qui juge les livres n’est plus homogène, et surtout, en dépit de nos programmes d’instruction, ne renferme qu’un bien petit nombre d’esprits qui aient réellement reçu leur forme de l’antiquité. L’imitation classique des œuvres grecques ou latines n’a plus de raison d’être : un écrivain perdrait son temps à se donner des mérites que presque personne ne sentirait.

La Révolution produisit d’abord un avilissement inouï de la littérature. Les œuvres où se continuait la précédente époque nous apparaissent noyées au milieu du fatras, des platitudes, des grossièretés, des violences sans caractère et sans décence, par où toute sorte d’écrivassiers flattèrent les passions du peuple, et les entretinrent honteusement sous prétexte de se mettre à sa portée. Je parle surtout du théâtre, plus asservi que tous les genres proprement littéraires à toutes les modes, à tous les états passagers de l’opinion. Lorsqu’un nouvel ordre s’établit, la littérature n’est plus tout à fait au point où elle était en 1789 : plus affranchie du goût mondain, de l’esprit, de l’analyse, de la finesse piquante, moins intelligente, elle s’est vidée de pensée en harmonisant ses formes. Le mouvement des idées et des passions politiques, l’imitation prétentieuse et sincère de la fermeté spartiate, de l’héroïsme romain, ont renforcé le courant artistique qui, dès le temps de Louis XVI, ramenait le goût antique dans la peinture comme dans les lettres. Malheureusement il semble qu’on ait seulement changé de joug : la délicatesse mondaine était au moins une forme d’esprit nationale, au lieu que l’élégance antique de la littérature du premier empire n’est qu’un froid pastiche, une inintelligente copie de formes étrangères. Au reste, c’était bien là la littérature que pouvait encourager une autorité despotique, défiante de toute pensée indépendante, et de la pensée elle-même en son essence.


2. LE JOURNALISME ; CAMILLE DESMOULINS.


Le second fait, c’est l’avènement du journalisme. Il y avait eu antérieurement des journaux [1] : la puissance du journalisme date

  1. Voici, par exemple, comment, en 1769, la France littéraire établit la liste des « journalistes et auteurs d’écrits périodiques » : Gazette de France, MM. l’abbé Arnaud et Suard. — Journal des savants, une société de Gens de lettres. — Mer-