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la littérature pendant la révolution et l’empire.

intelligents, énergiques, peu maniables, de bon service et d’indépendante humeur, ennemis-nés des commis, des courtisans et des ministres, nous expliquent la monstrueuse nature de leur dernier descendant. Gabriel-Honoré était né avec une intelligence prompte et souple, capable de tout recevoir et de tout garder, avec des appétits démesurés : il avait d’effrayants besoins d’action et de sensation, il lui fallait se dépenser et jouir plus que les autres hommes. Pour son malheur, il eut affaire au père le plus absolu, le plus pénétré des droits de son autorité paternelle, qui se soit jamais rencontré : dès les premières résistances de l’enfant, le marquis s’irrita et voulut le briser rudement. Une pension qui était comme une maison de correction, quatre prisons, dont une de trois ans et demi, une sentence d’interdiction, quinze lettres de cachet : tous ces moyens ne servirent qu’à exaspérer la haine du père, à raidir le fils dans sa révolte, et à diffamer le nom de Mirabeau dans le public. Mirabeau porta toute sa vie le poids de son passé : il eut la gloire, jamais l’estime et la confiance. Quelles étaient ses fautes ? Une vie désordonnée, des dettes, des duels, des séductions : tout ce que de charmants seigneurs faisaient communément sans perdre leur réputation de galants hommes, tout ce qui valait à un Lauzun sa royauté mondaine. Mais le monde ne pardonna pas à Mirabeau cette sorte de férocité, d’exaspération physique qui remplaçait chez lui la légèreté du libertinage à la mode : une fougueuse nature éclatait dans ses vices, au lieu de la gracieuse corruption qu’on était accoutumé à admirer. Et surtout le monde ne saurait pardonner au scandale. Or le père et le fils remplirent pendant quinze ans la France du bruit de leurs débats. Et après le père, ce fut la femme : Mirabeau plaida lui-même contre sa femme devant le Parlement d’Aix (1782) ; il ne put empêcher la séparation d’être prononcée ; et il ne resta de ce procès tapageur que les imputations également diffamatoires des deux parties.

Au milieu de tous ces désordres et de tous ces scandales, Mirabeau travaillait, s’instruisait, s’assimilait une prodigieuse variété de connaissances. Il arrachait par son intelligence et sa capacité de travail l’admiration de son oncle le bailli et, pendant leurs rares trêves, celle même de son père. Les trois années qu’il passa au donjon de Vincennes furent de fécondes années d’études et de méditations. Les facultés oratoires s’éveillaient en lui ; ce qu’il

    amis en Allemagne (le major Mauvillon), Brunswick, 1792, in-8 ; Lettres de Mirabeau à Chamfort, 1796, in-8 ; Lettres inédites, etc., 1806, in-8 ; Correspondance de Mirabeau et du comte de la Mark, 1854, 3 vol. in-8 ; Œuvres oratoires de Mirabeau, 1819, 2 vol. in-8. — À consulter : Lucas Montigny, Mémoires de Mirabeau (cf. p. 729. n. 2) ; L. de Loménie (continué par Ch. de Loménie), les Mirabeau, 5 vol. 1889-1892. Guibal, Mirabeau et la Provence, 1891, 2 vol. E. Faguet, xviiie siècle.