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chateaubriand.

l’étude de ses chefs-d’œuvre que nous avons affaire, avant tout, à un artiste.


3. LE GÉNIE DU CHRISTIANISME.


Le Te Deum qui célébrait la conclusion du Concordat fut chanté le 18 avril 1802 : le même jour le Moniteur reproduisait l’article de Fontanes sur le Génie du Christianisme, qui venait de paraître. Bonaparte et Chateaubriand semblaient s’unir pour relever la religion. L’effet, à distance, est beau.

Il résulte pourtant de récents travaux que, dès 1793, sous le régime de la séparation de l’Église et de l’État, le clergé avait repris le culte public. Les clefs de Notre-Dame avaient été remises à une société catholique, et 25 000 curés en 1796 desservaient 36 000 paroisses. Partout le peuple s’était porté avec empressement à ses églises. Si Bonaparte donc ne fut pas le restaurateur du culte, Chateaubriand ne fut pas le restaurateur de la foi. Il y a un peu d’illusion dans la belle phrase qu’il écrit : « Ce fut au milieu des débris de nos temples que je publiai le Génie du Christianisme ». Il n’appartient guère, fût-ce à un livre de génie, de créer de pareils courants : et, comme je l’ai dit de la Satire Ménippée, ces ouvrages qui paraissent avoir brusquement retourné l’opinion, doivent leur succès même à ce que l’opinion est déjà, plus ou moins secrètement, changée. Ils révèlent, enregistrent, et consacrent. Ils aident, si l’on veut, des tendances à se fixer, et donnent une impulsion vigoureuse aux esprits dans une voie déjà ouverte.

Chateaubriand garde le droit de dire de son livre : « Il est venu juste et à son heure ». Car le premier, avec éclat, il a signalé l’orientation nouvelle du siècle qui commençait. Il y a plus : il est très certain que le christianisme avait besoin d’être réhabilité. La noblesse du xviiie siècle était irréligieuse ; la bourgeoisie qui se piquait de « lumières » ne l’était pas moins. Un préjugé créé par les philosophes faisait le christianisme barbare, absurde, ridicule ; il n’y avait que des petits esprits, des imbéciles pour y croire. Il fallait créer un préjugé contraire, rassurer l’amour-propre du Français, affranchir les classes éclairées de la peur du ridicule attaché à la religion, la leur représenter respectable, décente et belle. C’est ce que vit très bien Chateaubriand : et il réussit à opérer cette conversion de préjugé.

Son dessein était de « prouver que, de toutes les religions qui ont jamais existé, la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres ; que le monde moderne lui doit tout ;… qu’il n’y a rien de plus divin que sa morale, rien de plus aimable, de plus pompeux que