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la littérature pendant la révolution et l’empire.

sur une équivoque et un malentendu ; il fondait la croyance sur des émotions de poète et d’artiste, et triomphait par un prestige qui éblouissait les esprits. De là ce qu’a eu de superficiel, de peu durable, d’insincère chez les uns, et d’un peu puéril chez les autres, le nouveau christianisme dont Chateaubriand a été l’apôtre. Il devait forcément tourner en cérémonie de bon ton ou en dilettantisme indifférent. Un siècle a passé, et même dans le christianisme, surtout dans le christianisme, le chef-d’œuvre de Chateaubriand ne compte plus.

Il compte dans la littérature par deux titres considérables. Les tableaux d’abord. Tous ces chapitres d’une misérable argumentation sont les impressions d’un grand artiste. Paysages de Bretagne ou du Nouveau Monde, scènes maritimes, scènes religieuses, il y a là toute une suite de tableaux par lesquels le livre vivra, en dépit des idées[1]. Mais nous y reviendrons.

En second lieu, une poétique nouvelle apparaît dans le Génie du Christianisme[2]. Ce n’est pas que les idées littéraires de Chateaubriand valent beaucoup mieux que ses idées philosophiques. Il y a parfois d’étranges méprises dans les jugements qu’il porte sur les œuvres. Tout ce qui a été fait depuis Jésus-Christ dans la littérature et les arts est chrétien, œuvre du principe chrétien, et preuve de la vérité chrétienne. Il reconnaît des chrétiennes dans l’Andromaque et dans l’Iphigénie de Racine. Mais, la part faite aux erreurs de goût et de logique, il reste assez de vues originales et fécondes dans ces deux parties du Génie du Christianisme, pour faire du livre une date dans l’histoire de la critique et des doctrines esthétiques.

Tirer la conclusion définitive de la querelle des anciens et des modernes, montrer qu’à l’art moderne il faut une inspiration moderne (Chateaubriand disait chrétienne), ne pas mépriser l’antiquité, mais, en dehors d’elle, reconnaître les beautés des littératures italienne, anglaise, allemande, écarter les anciennes règles qui ne sont plus que mécanisme et chicane, et juger des œuvres par la vérité de l’expression et l’intensité de l’impression, mettre le christianisme à sa place comme une riche source de poésie et de pittoresque, et détruire le préjugé classique que Boileau a consacré avec le christianisme, rétablir le moyen âge. l’art gothique, l’histoire de France, classer la Bible parmi les chefs-d’œuvre littéraires de l’humanité, rejeter la mythologie comme rapetissant la nature, et découvrir une nature plus grande, plus pathétique, plus belle, dans cette immensité débarrassée des petites

  1. Surtout dans les parties I et IV.
  2. P. II et III.