Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
916
l’époque romantique.

romantisme ne pénétra guère dans l’éloquence parlementaire avant 1848 : sous la Restauration. Chateaubriand apporta parfois à la tribune ses vastes images, le superbe étalage de son moi mélancolique. Sous la monarchie de Juillet, Lamartine fit chanter son âme en harangues lyriques. Mais la plupart des graves et sérieux bourgeois qui abordaient la tribune, les libéraux notamment, étaient des hommes de goût classique, formés à l’école du xviiie siècle et des idéologues, nourris de Voltaire et de Montesquieu, philosophes, juristes, dialecticiens, de sensibilité médiocre ou restreinte, d’imagination froide, et plus que modérément artistes.

Les débats parlementaires eurent plus d’ampleur sous la Restauration : en toutes circonstances éclatait le conflit de deux mondes, de deux sociétés ; il s’agissait de conserver ou de détruire l’œuvre de la Révolution. Sans cesse, il fallait recourir aux principes de l’ancien droit, ou du droit nouveau, les expliquer, les fonder, les dissoudre, rechercher le sens des grands événements d’où le présent était sorti, et dresser comme des inventaires de leurs résultats moraux ou sociaux. Il se faisait journellement à la tribune de vastes leçons de philosophie historique ou politique.

Les orateurs légitimistes n’ont pas de quoi nous retenir : et pour certains, je le regrette. J’aurais aimé à présenter cet admirable Hyde de Neuville, si héroïque, si dévoué et, ce qui est plus rare, si clairvoyant dans son dévouement aux Bourbons [1] : mais il ne fut pas orateur. Au contraire, parmi les libéraux, les orateurs illustres sont en nombre. Je sacrifie sans regret celui que V. Hugo appelle « l’éloquent Manuel » : il serait, je pense, oublié, avec son éloquence pâteuse, si les « mains auvergnates » du vicomte de Foucauld ne l’avaient « empoigné » dans un jour de scandale [2]. M. de Serre et le général Foy [3] valent mieux : M. de Serre, avec ses précisions subtiles et pressantes, ses audacieux raisonnements de légiste, son froid jugement d’homme de gouvernement, savait user à

  1. Souvenirs, Plon, in-8, t. III, 1894.
  2. Séance du 4 mars 1823. Manuel (1773-1827), répondant à Chateaubriand sur la guerre d’Espagne, avait paru faire l’apologie de la condamnation de Louis XVI. L’expulsion fut discutée les 2 et 3 mars, et votée. Le vicomte de Foucauld commandait les gendarmes requis pour faire exécuter le vote.
  3. Le comte de Serre (1776-1824), Lorrain, émigré, officier de l’armée de Condé, rentré en 1802, avocat à Metz, puis magistrat impérial, suivit Louis XVIII à Gand, fut président de la Chambre en 1817, ministre de la justice en 1818 et 1821, ambassadeur à Naples en 1822. Il s’était séparé des libéraux en 1820. Discours. 2 vol. in-8, 1865. — Le comte Max.-Séb. Foy (1775-1825), général de division en 1810, député de l’Aisne en 1819, de Paris en 1824 : il se donna pour rôle principal de défendre dans leur réputation et leurs intérêts collectifs ou individuels les anciens soldats de la Révolution et de l’Empire, Discours. 2 vol. in-8, 1826.