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polémistes et orateurs.

les fantaisies : il emplissait les esprits. Il avait, à force de certitude intime et de lumière épandue, l’autorité.

Inventeur en théorie politique comme en philosophie spéculative, il était chef d’École à la Chambre, et ses élèves s’appelaient les Doctrinaires, d’un mot qui peint à merveille leur esprit commun. De cette école sortirent les principaux hommes d’État de l’orléanisme. Mais le maître était irrémédiablement légitimiste : la légitimité est une pièce essentielle de la doctrine. Il lui faut une dynastie séculaire pour avoir un droit royal avéré, indiscutable : autour de ce droit, le limitant et le soutenant de leurs droits, il dresse les deux Chambres, et il forme ainsi le gouvernement, en qui, et en qui seul, il place la souveraineté [1]. De chaque côté de cette souveraineté, pour en assurer le jeu et en restreindre l’abus, il institue l’inamovibilité des juges [2], représentation de l’éternelle morale, et la liberté de la presse [3], représentation de l’irrésistible démocratie. Voilà ce que Royer-Collard expliquait en nettes formules, dans d’incomparables leçons, rappelant toujours toute discussion aux principes, et déduisant de la Charte toute doctrine, comprenant bien au reste son temps, et les deux grands faits, non pas créés, mais dégagés par la Révolution [4] : la lourde centralisation administrative, et la vigoureuse expansion de la démocratie. Enfin, il est du petit, bien petit nombre des orateurs qui n’ont pas vieilli, et qui se lisent vraiment avec plaisir : cela tient à la belle fermeté de son style, aussi grave et moins triste que celui de Guizot.

L’éloquence parlementaire eut de beaux jours sous la monarchie de Juillet. Mais, en général, les discussions s’abaissent. Le libéralisme, en triomphant, se dépouilla de sa générosité, et se fit le défenseur des intérêts, de l’influence, des préjugés d’une classe, avec laquelle il identifia le pays. « L’esprit particulier de la classe moyenne, écrit M. de Tocqueville [5], devint l’esprit général du gouvernement ; il domina la politique extérieure aussi bien que les affaires du dedans : esprit actif, industrieux, souvent déshonnête, généralement rangé, téméraire quelquefois par vanité et par égoïsme, timide par tempérament, modéré en toute chose, excepté dans le goût du bien-être, et médiocre… » L’éloquence se ressentit, ainsi que le gouvernement, de cet esprit étroit et positif. Trop souvent même, les intérêts personnels passèrent au premier plan ; et

  1. Discours du 17 mai 1820, sur la loi électorale.
  2. Discours du 21 nov. 1815, sur l’inamovibilité des juges.
  3. Discours à propos de la loi sur la presse (janvier 1820) : c’est, je crois, la plus belle composition de Royer-Collard.
  4. Ibid.
  5. Souvenirs, C. Lévy. 1893, in-8.