Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 7.djvu/101

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pas encore invraisemblables, et l’on n’hésitait point à leur attribuer les singularités de la nature, que l’on ne pouvait autrement expliquer.

Cette manière d’envisager les effets extraordinaires se retrouve dans les ouvrages les plus remarquables du siècle de Louis XIV, dans l’Essai même sur l’entendement humain du sage Locke, qui dit en parlant des degrés d’assentiment : « Quoique la commune expérience et le cours ordinaire des choses aient avec raison une grande influence sur l’esprit des hommes, pour les porter à donner ou à refuser leur consentement à une chose qui leur est proposée à croire, il y a pourtant un cas où ce qu’il y a d’étrange dans un fait n’affaiblit point l’assentiment que nous devons donner au témoignage sincère sur lequel il est fondé. Lorsque des événements surnaturels sont conformes aux fins que se propose celui qui a le pouvoir de changer le cours de la nature, dans un tel temps et dans de telles circonstances, ils peuvent être d’autant plus propres à trouver créance dans nos esprits qu’ils sont plus au-dessus des observations ordinaires, ou même qu’ils y sont plus opposés. » Les vrais principes de la probabilité des témoignages ayant été ainsi méconnus des philosophes auxquels la raison est principalement redevable de ses progrès, j’ai cru devoir exposer avec étendue les résultats du calcul sur cet important objet.

Ici se présente naturellement la discussion d’un argument fameux de Pascal, que Craig, mathématicien anglais, a reproduit sous une forme géométrique. Des témoins attestent qu’ils tiennent de la Divinité même qu’en se conformant à telle chose on jouira, non pas d’une ou de deux, mais d’une infinité de vies heureuses. Quelque faible que soit la probabilité des témoignages, pourvu qu’elle ne soit pas infiniment petite, il est clair que l’avantage de ceux qui se conforment à la chose prescrite est infini, puisqu’il est le produit de cette probabilité par un bien infini ; on ne doit donc point balancer à se procurer cet avantage.

Cet argument est fondé sur le nombre infini des vies heureuses promises au nom de la Divinité par les témoins ; il faudrait donc faire ce qu’ils prescrivent, précisément parce qu’ils exagèrent leurs promesses