Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 7.djvu/110

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de juger les accusés donne beaucoup d’avantages pour saisir la vérité au milieu d’indices souvent contradictoires.

La question précédente dépend encore de la grandeur de la peine appliquée au délit, car on exige naturellement, pour prononcer la mort, des preuves beaucoup plus fortes que pour infliger une détention de quelques mois. C’est une raison de proportionner la peine au délit, une peine grave appliquée à un léger délit devant inévitablement faire absoudre beaucoup de coupables. Le produit de la probabilité du délit par sa gravité étant la mesure du danger que l’absolution de l’accusé peut faire éprouver à la société, on pourrait penser que la peine doit dépendre de cette probabilité. C’est ce que l’on fait indirectement dans les tribunaux, où l’on retient pendant quelque temps l’accusé contre lequel s’élèvent des preuves très fortes, mais insuffisantes pour le condamner ; dans la vue d’acquérir de nouvelles lumières, on ne le remet point sur-le-champ au milieu de ses concitoyens, qui ne le reverraient pas sans de vives alarmes. Mais l’arbitraire de cette mesure et l’abus qu’on peut en faire l’ont fait rejeter dans les pays où l’on attache le plus grand prix à la liberté individuelle.

Maintenant, quelle est la probabilité que la décision d’un tribunal, qui ne peut condamner qu’à une majorité donnée, sera juste, c’est à-dire conforme à la vraie solution de la question posée ci-dessus ? Ce problème important, bien résolu, donnera le moyen de comparer entre eux les tribunaux divers. La majorité d’une seule voix dans un nombreux tribunal indique que l’affaire dont il s’agit est à fort peu près douteuse ; la condamnation de l’accusé serait donc alors contraire aux principes d’humanité, protecteurs de l’innocence. L’unanimité des juges donnerait une très grande probabilité d’une décision juste, mais en s’y astreignant, trop de coupables seraient absous. Il faut donc, ou limiter le nombre des juges si l’on veut qu’ils soient unanimes, ou accroître la majorité nécessaire pour condamner lorsque le tribunal devient plus nombreux. Je vais essayer d’appliquer le calcul à cet objet, persuadé qu’il est toujours le meilleur guide, lorsqu’on l’appuie sur les données que le bon sens nous suggère.