Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 7.djvu/127

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probabilité de l’obtenir ; le pauvre surtout, excité par le désir d’un meilleur sort, expose à ce jeu son nécessaire, en s’attachant aux combinaisons les plus défavorables qui lui promettent un grand bénéfice. Tous seraient sans doute effrayés du nombre immense des mises perdues, s’ils pouvaient les connaître ; mais on prend soin, au contraire, de donner aux gains une grande publicité, qui devient une nouvelle cause d’excitation à ce jeu funeste.

Lorsqu’à la loterie de France un numéro n’est pas sorti depuis longtemps, la foule s’empresse de le couvrir de mises. Elle juge que le numéro resté longtemps sans sortir doit, au premier tirage, sortir de préférence aux autres. Une erreur aussi commune me paraît tenir à une illusion par laquelle on se reporte involontairement à l’origine des événements. Il est, par exemple, très peu vraisemblable qu’au jeu de croix corr|ou|ou pile on amènera croix dix fois de suite. Cette invraisemblance qui nous frappe encore, lorsqu’il est arrivé neuf fois, nous porte à croire qu’au dixième coup pile arrivera. Cependant le passé, en indiquant dans la pièce une plus grande pente pour croix que pour pile, rend le premier de ces événements plus probable que l’autre ; il augmente, comme on l’a vu, la probabilité d’amener croix au coup suivant. Une illusion semblable persuade à beaucoup de monde que l’on peut gagner sûrement à la loterie, en plaçant, chaque fois, sur un même numéro jusqu’à sa sortie, une mise dont le produit surpasse la somme de toutes les mises. Mais, quand même de semblables spéculations ne seraient pas souvent arrêtées par l’impossibilité de les soutenir, elles ne diminueraient point le désavantage mathématique des spéculateurs et elles accroîtraient leur désavantage moral, puisqu’à chaque tirage ils exposeraient une plus grande partie de leur fortune.

J’ai vu des hommes, désirant ardemment d’avoir un fils, n’apprendre qu’avec peine les naissances des garçons dans le mois où ils allaient devenir pères. S’imaginant que le rapport de ces naissances à celles des filles devait être le même à la fin de chaque mois, ils jugeaient que les garçons déjà nés rendaient plus probables les naissances prochaines des filles. Ainsi l’extraction d’une boule blanche, d’une urne qui renferme