Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 7.djvu/140

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seconde image n’est pas d’abord une représentation fidèle de l’objet. Mais la comparaison habituelle des impressions de cet objet par le tact, avec celles qu’il produit par la vue, finit, en modifiant le sensorium, par rendre la seconde image conforme à la nature représentée fidèlement par le toucher. L’image peinte sur la rétine ne change point ; mais l’image intérieure qu’elle fait naître n’est plus la même, comme les expériences faites sur plusieurs aveugles de naissance auxquels on avait rendu la vue l’ont prouvé.

C’est principalement dans l’enfance que le sensorium acquiert ces modifications. L’enfant comparant sans cesse les impressions qu’il reçoit d’un même objet, par les organes de la vue et du toucher, rectifie les impressions de la vue. Il dispose son sensorium à donner aux objets visibles la forme indiquée par le tact dont les impressions s’associent intimement avec celles de la vue, qui les rappellent toujours. Alors les objets visibles sont aussi fidèlement représentés que les objets tangibles. Un rayon lumineux devient pour la vue ce qu’est un bâton pour le toucher. Par ce moyen, le premier de ces sens étend beaucoup plus loin que le second la sphère des objets de ses impressions. Mais la voûte céleste elle-même, à laquelle nous attachons les astres, est encore très bornée, et ce n’est que par une longue suite d’observations et de calculs que nous sommes parvenus à reconnaître les grandes distances de ces corps et à les éloigner indéfiniment dans l’immensité de l’espace.

Il paraît que, dans plusieurs espèces d’animaux, la disposition du sensorium qui nous fait apprécier les distances est naturelle. Mais l’homme, pour lequel la nature a remplacé presque en tout l’instinct par l’intelligence, a besoin, pour le suppléer, d’observations et de comparaisons, qui servent merveilleusement à développer ses facultés intellectuelles et à lui assurer par ce développement l’empire de la Terre.

Les images intérieures ne sont donc pas les effets d’une cause unique ; elles résultent soit des impressions reçues simultanément par le même sens ou par des sens différents, soit des impressions intérieures rappe-