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que les amateurs honorent de leurs faveurs. Leurs faveurs s’étendent parfois sur les bons et les excellents ; mais le volume tiré à petit nombre, la beauté de l’impression, le luxe de l’illustration, la richesse de la reliure, telle singularité bizarre ou telle originalité inexplicable les attirent et les fixent bien plus souvent. À quoi tiennent en curiosité la réputation et le succès ? La prison, la corde, un emprisonnement, une condamnation, la guillotine, un scandale retentissant, un malheur, un crime, font plus pour le succès d’un livre que le talent le plus incontestable. Cartouche poète était même inconnu de sa concierge, Cartouche voleur et assassin fut visité dans sa prison par les plus grandes dames et ses vers furent lus et admirés plus que ceux de l’infortuné Gilbert. La Physiologie de la poire, Paris, 1832 in-8, du notaire Peytel, l’assassin de sa femme, guillotiné à Bourg, le 30 août 1839, sera plus recherchée et se vend mieux que les œuvres du P. de Ravignan, ou les Odeursde Paris de L. Veuillot. Hégésippe Moreau plus heureux eût été moins célèbre : sa mort sur un lit d’hôpital a fait plus pour ses vers que son talent. C’est triste à constater, mais tout ce qui dans la vie et la mort est exception : le crime ou le malheur, font plus pour le succès d’un livre que n’auraient pu le faire le génie ou les vertus de l’écrivain le plus célèbre. La note fatidique condamné par le tribunal pour cause d’immoralité, mise au-dessous de n’importe quelle ineptie scandaleuse, lui vaudra plus d’acheteurs que le génie de V. Hugo à son œuvre la plus remarquable.

Pour l’amateur du livre, la qualité est un détail, l’essentiel est qu’il soit rare ou curieux. On appelle rare l’ouvrage qui ayant été tiré à petit nombre, épuisé rapidement ou détruit se trouve difficilement, et curieux celui qu’une singularité recommande à l’attention des chercheurs. Le même ouvrage peut être rare et curieux, ou n’être que l’un ou l’autre et l’être à des degrés divers, cela dépend de mille circonstances, d’un événement imprévu, d’une fantaisie même. Le bibliographe doit subir et signaler ces fluctuations de hausse et de baisse, ces irrégularités d’appréciations sans préjuger et sans contester le cours et le goût du lendemain. Rien n’est plus bizarre, moins justifié et quelquefois plus injuste que les envies et les recherches des collectionneurs ; pourquoi les discuter ? Il y a quelques années l’Elzévir latin se vendait fort cher et Dorat se donnait ; aujourd’hui le