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LA VEUVE.


Couvrit le monde entier de carnage et de deuil.

Jamais ce nom sanglant n’éblouit la contrée
Où Pernette vécut et mourut adorée.
En vain, là comme ailleurs, de vieux prétoriens
Hâblaient, grondaient, chantaient, grossiers historiens,
Et, dans chaque taverne, avec force lampées,
A d’obscènes refrains mêlaient leurs épopées.
Nos sages laboureurs se souvenaient alors
De leur maison déserte et de leurs enfants morts…
Et chers, aujourd’hui même, à tous ceux de mon âge,
Pernette et ses récits font foi dans le village.

Elle vécut assez pour nous voir grandir tous,
Et son cœur maternel se consolait en nous ;
Chaque enfant du pays prenant la bonne voie
Et gagnant quelque honneur lui causait une joie.
Ses avis respectés nous suivaient tous au loin,
Et j’aimais à l’avoir pour juge et pour témoin.
Déjà mûr, et parfois hésitant sur ma route,
J’allais chercher près d’elle appui contre le doute ;
Sûr que mon cher pays, mes modestes aïeux
Me parlaient dans sa voix, me jugeaient par ses yeux ;
Que notre ciel aimé, notre douce nature,
M’éclairaient à travers cette âme forte et pure.

Chaque automne, en goûtant à ses raisins vermeils,
J’allais dans l’air natal aspirer ses conseils ;
A tous nos lieux sacrés nous refaisions visite ;
Près d’elle une leçon était partout écrite ;
Et le sol maternel me rendait ma vigueur,
Quand j’y touchais ainsi du regard et du cœur,