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LE LIVRE D’UN PÈRE.

J’ai ma ville de joie et de deuil, ville antique,
Aix, la cité latine, — un nom doux à mon cœur, —
De la grecque Marseille heureuse et jeune sœur ;
Sol aimé de Pallas et doté de l’olive,
Ville du gai savoir, chanteuse accorte et vive,
Où le roi troubadour, joyeux infortuné,
Se nomme encor partout : « Notre bon roi René. »

C’est là, grâce au soleil, que j’ai repris la force
Et l’ardeur de mon sang qu’éteignait le brouillard ;
Qu’après un long collège et des maux de vieillard
Ma tardive jeunesse a brisé son écorce.
Sous ce ciel toujours bleu, dans ces bois toujours verts,
J’ai senti mon cœur battre et fait mes premiers vers.
Puis, sous ce même azur qui m’avait fait renaître,
Parmi le souvenir des compagnons joyeux,
Perdant loin du foyer mon père, mon vrai maître,
J’ai mené mon grand deuil et me suis senti vieux.
C’est ainsi que j’ai vu, sur cette douce terre,
Commencer mon printemps et ma saison austère.
Ce sol nous garde, enfants, le plus rare trésor ;
Une amitié de race et datant du vieux monde,
Riche en mâles douceurs, en exemples féconde,
M’appelait en Provence et m’y ramène encor.
Sitôt qu’un rude hiver de nos brouillards m’exile,
Ce ciel, tout de lumière, auprès d’un cœur tout d’or,
À mon âme, à mon corps, offre un aimable asile.

Là-bas tout fleurît mieux, tout, jusqu’à l’amitié ;
Des illustres amours c’est la terre choisie ;
Dans leur joie ou leur deuil la muse est de moitié.
J’ai là, sans l’y chercher, trouvé ma poésie.