Page:Laprade - Poèmes évangéliques, Lévy, 1860.djvu/12

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et pour héros la personne même du Sauveur. L’action de Dieu est mêlée à tous les événements humains ; il est permis au poëte de la faire apparaître sous des formes de son choix, mais en observant les traditions. Et cependant, combien reste difficile ce mélange des fictions de l’épopée et des saintes réalités de la théologie ! Quelques-uns des grands poëtes modernes l’ont essayé. Mais est-ce bien dans leurs mystiques hypothèses, dans leurs descriptions de l’inénarrable et de l’invisible, que se rencontrent leurs véritables, leurs solides beautés ? N’est-ce pas au contraire dans la partie la plus humaine de leurs drames, dans la peinture des passions et de toutes les choses qui tombent sous notre raison ou sous nos sens ? Boileau nous l’affirme de l’épopée du Tasse, et nous eût dit, sans doute, la même chose de Dante et de Milton. Si la froide et sévère théorie de l’Art poétique sur l’usage du merveilleux chrétien a dû être réformée dans ce qu’elle a de plus étroit, si avant et depuis Boileau d’heureux génies ont mis cette règle à néant, elle n’en renferme pas moins ; pour qui sait l’interpréter, un grand sens et un excellent conseil. Rendons hommage, même sur ce point, le plus vulnérable de ses doctrines, à la critique du XVIIe siècle. N’allons pas exclure de la poésie française le sentiment de la nature parce que Boileau et son temps ne l’ont pas connu ; n’enchaînons pas l’inspiration lyrique dans le cercle où se traîne l’Ode sur la prise de Namur ; donnons hardiment carrière à l’esprit religieux et au sentiment de l’infini, et n’admettons pas que le Lutrin doive consoler la France de n’avoir ni la Divine Comédie, ni le Paradis perdu ; mais retenons cependant de la prudente législation de notre vieux Parnasse, ce précepte qui s’adresse aux