Page:Laprade - Poèmes évangéliques, Lévy, 1860.djvu/342

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Et je t’adore encor, de loin, à deux genoux,
Comme l’esprit de Dieu rayonnant parmi nous.
Va ! je plains qui t’ignore et je bais qui t’insulte ;
Mais je me suis jugé des hauteurs de ton culte,
O Muse ! et j’ai pleuré quand l’amour du vrai beau
Des pages de mon livre approcha son flambeau.

Je mesure, aujourd’hui que mon labeur s’achève,
L’abîme infranchissable entre l’œuvre et le rêve ;
Et je vois plus lointain qu’au moment du départ
Le but où je tendais par les sentiers de l’art.
Je sens que, sur ma lèvre inhabile et confuse,
L’idée au joug du vers succombe ou se refuse,
Et, comme un grain aride et d’où rien n’a germé,
Je porte encore en moi mon rêvé inexprimé.
Peut-être, en ma saison, j’ai cueilli, sous la ronce ;
Quelques fleurs dans ce champ ? à qui ma main renonce :
Le printemps ainsi donne au plus morne désert
Sa goutte de rosée et son brin d’herbe vert.
Mais, ô pâle rêveur, il n’est rien qui t’étonne
Dans l’infertilité de ta lugubre automne.

Tu connais trop la vie, ô poëte, tais-toi !
Des cœurs joyeux et purs n’offense point la foi ;
Garde au moins pour toi seul le deuil et l’amertume ;