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des Genêts, je mis à vouloir y assister autant de ténacité que j’en avais mise à ne le vouloir pas.

Mouton de Panurge que j’étais !

J’habitais l’hôtel Pimodan depuis six mois environ, en compagnie de quelques gens de lettres et de quelques artistes. Nous avions des appartements princiers, mais nous n’avions pas le moindre meuble. A quoi bon des meubles, d’ailleurs, puisque nous n’avions rien à mettre dedans ?

Je cherchai dans un coin, sur le parquet, les hardes qui composaient ma garde-robe. Il me restait alors de fort beaux débris d’une opulence effacée, — de ce que j’appelais mon Louis XIV. J’avais toujours mon habit noir à la française, mon pantalon noir, mon gilet broché, mes bottes vernies, mes gants paille, — mais, de ma douzaine de chemises de Hollande, si éblouissantes de blancheur, il ne me restait plus qu’une seule chemise.

Je sais bien ce qu’on va me dire : une chemise, c’est suffisant pour un homme seul. D’accord ; mais il y a chemise et chemise, comme il y a fagot et fagot. La mienne était en toile de Hollande tout aussi éblouissante de blancheur que les autres. Seulement… elle était sur le point de subir sa dernière incarnation, et, de vêtement, devenir charpie.

Cependant, à force de la retourner dans tous les sens, j’acquis l’agréable conviction qu’elle pouvait faire son effet durant une soirée encore. Le col, le devant et les poignets étaient intacts, et, pour le reste, je n’avais pas à redouter de trop grandes catastrophes, en me conduisant sagement.

Cette conviction faite, je m’habillai à la hâte, et, me trouvant irréprochable comme tenue, je descendis.

Au moment où j’allais sortir, il me sembla entendre ricaner les deux gros lions placés en sentinelles au coins de la grande porte de l’hôtel Pimodan. Insolents !