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de la mer Baltique, de la mer du Nord, la Finlande, la Russie, le Danemark et l’Angleterre. En 1789, il se rendit en Suède, chargé, à ce qu’il prétend, d’une mission des princes français, et fut témoin de l’assassinat de Gustave III. On a de lui : Causes anciennes et modernes des événements de la fin du xviiie siècle ; Découverte de l’orbite de la terre…, où il développe un système entièrement opposé à celui de Newton ; Histoire des événements mémorables du règne de Gustave III, etc.

A GUI L’AN NEUF. V. Gui

AGUILAR DE LA FRONTERA, ville de la prov. de Cordoue, en Espagne ; 19,000 hab. Excellents vins, plantes aromatiques, mines de cuivre.

AGUILLE s. f. (a-ghi-lle ; ghi comme dans guider ; ll mll.). Comm. Toile de coton d’Alep.

AGUILLOT s. m. (a-ghi-llo ; ghi comme dans guider ; ll mll.). Mar. Cheville de fer qui sert à réunir deux cordes en une.

AGUIMPANT (a-gain-pan) part. prés. du v. Aguimper.

AGUIMPÉ, ÉE (a-gain-pé) part. pass. du v. Aguimper. Revêtu d’une guimpe :

Tant ne songeaient au service divin,
Qu’à soi montrer ès parloirs aguimpées,
Bien blanchement, comme droites poupées.
La Fontaine.

AGUIMPER v. a. ou tr. (a-gain-pé — rad. guimpe). Couvrir, revêtir d’une guimpe, et par ext. Se parer, s’attifer, se pomponner. Vieux mot.

AGUL ou ALHAGI s. m. (a-gul). Bot. V. Alhagi.

AGUSTINE ou AGUSTITE s. f. (a-gu-sti-ne — du gr. a priv., et du lat. gustus, goût). Minér. Sorte de pierre qu’on a reconnue être du phosphate de chaux, lequel n’a effectivement pas de saveur.

AGYÉE s. m. (a-ji-é —  du gr. aguieus, autel). Antiq. gr. Sorte d’autel en forme d’obélisque, que l’on plaçait aux portes des maisons, et qui était consacré aux dieux.

AGYNAIRE adj. (a-ji-nè-re — du gr. a priv. ; gunè, femme). Bot. Se dit des fleurs doubles, dans lesquelles les étamines sont transformées en pétales, et où manque le style.

AGYNE adj. (a-ji-ne — du gr. a priv. ; gunè, femme). Bot. Qui n’a point d’organe femelle : Fleur agyne.

AGYNÉE s. f. (a-ji-né — rad. agyne). Bot. Genre de plantes de la famille des euphorbiacées, originaire de la Chine et de l’Inde.

AGYNIENS s. m. pl. (a-ji-ni-ain — du gr. a priv. ; gunè, femme) : Sectaires du viie siècle, qui avaient en horreur le mariage.

AGYNIQUE adj. (a-ji-ni-ko — du gr. a priv. ; gunè, femme). Bot. Se dit de l’insertion des étamines, quand elles ne contractent pas d’adhérence avec l’ovaire.

AGYRTE s. m. (a-jir-te — du gr. agurtès, jongleur). Entom. Genre d’insectes coléoptères pentamères, famille des clavicornes. L’agyrte châtain (agyrte castaneus, de Fabricius) se trouve aux environs de Paris, il habite les bois, où il vit sous l’écorce des hêtres.

AH (a) interj. qui sert à marquer les divers sentiments, les affections vives de l’âme : 1° la joie, le plaisir, le contentement, le bonheur : Ah ! que je suis aise de vous voir ! Ah ! quel bonheur ! Ah ! quel plaisir d’être soldat ! || 2° La souffrance, la douleur, l’indignation : Ah ! que je souffre !

Ah ! lâche, fais l’amour et renonce à l’empire !
Racine.
Ah ! fallait-il en croire une amante insensée !
Racine.
Ah ! de quel souvenir viens-tu frapper mon âme !
Racine.
Ah ! cruel, tu m’as trop entendue !
Racine.
Ah ! monsieur, ce malheur n’est que trop véritable !
Regnard.
Ah ! ma mère, épargnez votre malheureux fils !
Crébillon.
Ah ! pleure, fille infortunée !
C. Delavigne.


|| 3° La surprise, le saisissement, l’admiration, l’enthousiasme : Ah ! que cela est beau ! Ah ! mon Dieu, que me dites-vous là ! Ah ! voilà qui est bien ! (Mol.)

Ah ! que de la vertu les charmes sont puissants !
Th. Corneille.


|| S’emploie souvent pour donner plus de force, plus d’énergie à la phrase : Ah ! madame, ne le croyez pas. Ah ! pensez-y bien. Ah ! que de soins ! Ah ! que de peines ! Ah ! quelle lutte acharnée et violente à qui veut surmonter l’obstacle ! (J. Janin.)

Ah ! mon pauvre Crispin, je perds toute espérance !
Regnard.
Ah ! rendez-moi la mer et les bruits du rivage !
C’est là que s’éveilla mon enfance sauvage
Brizeux.


|| Se redouble quelquefois pour marquer la surprise ou l’ironie : Ah ! ah ! je vous y prends. Ah ! ah ! vous arrivez enfin. (Acad.)

Ah ! ah ! l’homme de bien, vous vouliez m’en donner !
Molière.


|| Répété plus de deux fois, il marque les éclats de la joie ou les cris de la douleur : Ah ! ah ! ah ! ah ! je ne saurais m’en souvenir que je ne rie de tout mon cœur. (Mol.) Ma foi, tu en tiens, et te voilà payé de ta raillerie, ah ! ah ! ah ! ah ! (Mol.) Ah ! ah ! ah ! ah ! la plaisante figure pour un doyen ! (Regnard.) Ah ! ah ! ah ! ah  ! fit-il en coquetant, comme s’il eût obtenu un franc succès de gaiété, il y a quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans que j’étais un satané farceur. (P. Féval.)

Ah ! ah ! ah ! ah ! ô bourreau d’homme !
Molière.


|| Sert à marquer un étonnement, une joie, qu’on ne saurait exprimer, tant on est suffoqué : Où en étais-je donc ? —   Monsieur, j’étaisah ! ah ! ah ! (Beaumarch.)

— Peut s’employer substantivem. : Pousser des ah ! À cette réponse, qui dissipait tout soupçon sur la complicité du duc d’Orléans dans la mort de Madame, le roi fit un grand ah ! comme un homme oppressé qui tout d’un coup respire. (St-Sim.) Bonacieux sentit à cet ah ! que l’affaire s’embrouillait de plus en plus. (Alex. Dumas.) Après ce sublime ah ! Diane pencha la tête, la mit dans sa main et demeura froide, immobile, implacable. (Balz.) Que de choses il peut y avoir dans un ah ! je n’oublierai jamais celui-là. (V. Hugo.) || Dans ce cas, on peut également le répéter : Néanmoins cette défaite de l’avant-scène fut saluée par un immense cri de victoire, formulé par des ah ! ah ! ah ! triomphants, partis de tous les coins de la salle. (E. Sue.)

— Ainsi employé substantiv., ah ! est toujours invariable : Vos ah ! ne me font pas peur. Cependant le besoin de la rime a obligé Molière à donner à ce mot la marque du pluriel. C’est une licence poétique :

………Et faire du fracas
À tous les beaux endroits qui demandent des ahs !
Molière.

Ah fait partie de diverses locutions familières dont le sens se modifie par le mot ou les mots qui l’accompagnent. Telles sont : Ah bah, qui exprime l’insouciance : Qu’est-ce que c’est que cet individu dont vous avez déchiré la robe ?Ah bah ! une mauvaise capette de Montaigu. Voilà-t-il pas ? (V. Hugo.) || Ah bien oui, qui exprime le désappointement d’une manière plaisante : J’envoie toucher, ah bien oui ! le correspondant a disparu. (Alex. Dum.) || Ah mais, qui donne de l’énergie à une affirmation : Elle sauta sur mon bambou et me donna une volée, ah mais ! voyez-vous, que le diable en aurait pris les armes. (Alex. Dum.) || Ah ça, qui exprime le mécontentement, l’impatience, etc. : Ah ça ! tâchons de nous entendre, si nous pouvons. (Scribe.)

Syn. Ah ! ha ! Ah ! exprime un émotion profonde et de quelque durée : Ah ! que je suis aise ! Ah ! que je souffre ! Ah ! quel bonheur ! Ha marque quelque chose de subit et d’inattendu : Ha ! vous voilà ! (Acad.) Ha ! ha ! coquin, vous avez l’audace d’aller sur nos brisées. (Mol.)

Ah ! vous dirai-je, maman, premier vers et titre d’une chanson restée populaire. C’est une de ces ravissantes mélodies que tout le monde chante et dont on ignore l’auteur. Cet air si simple, si gracieux, a fourni a l’auteur du Toréador le motif de ces jolies variations dont le succès balance celles des Voitures versées. Il est évident, par la facture, que cet air date d’une centaine d’années, et qu’il a fait le succès des paroles, où il n’est question que de bergers, de houlette et autres fadeurs des deux derniers règnes de l’ancienne monarchie. Voici les paroles de ces quatre couplets, qui ne valent certes pas leur réputation :


Ah ! vous dirai-je maman,
Ce qui cause mon tourment ?
Depuis que j’ai vu Sylvandre
Me regarder d’un air tendre,
Mon cœur dit à chaque instant :
Peut-on vivre sans amant ?

 
L’autre jour dans un bosquet,
De fleurs il fit un bouquet ;
Il en para ma houlette,
Me disant : Belle brunette,
Flore est moins belle que toi,
L’Amour moins tendre que moi.

Je rougis, et par malheur,
Un soupir trahit mon cœur :
Le cruel, avec adresse,
Profita de ma faiblesse.
Hélas ! maman, un faux pas
Me fit tomber dans ses bras.

Je n’avais pour tout soutien
Que ma houlette et mon chien ;
L’Amour, voulant ma défaite,
Écarta chien et houlette :
Ah ! qu’on goûte de douceur
Quand l’amour prend soin d’un cœur !

AHAH s. m. V. Haha.

AHALANT (a-a-lan) part. prés. du v. Ahaler.

AHALÉ part. pass. du v. Ahaler.

AHALER v. n. ou intr. (a-a-lé — rad. haleine). Respirer d’une manière bruyante, après une course et dans un moment de fatigue.

— v. tr. Pousser son haleine sur quelque chose : Si l’on ahale une glace, on la ternit.

S’ahaler, v. pr. Être ahalé : Substance qui s’ahale facilement.

AHAN s. m. (a-an — étym. incert. ; selon Ducange, du lat. anhelare, haleter ; selon Ménage, de l’espagnol affanno, peine, douleur ; selon Diez, du kymri afan, combat, trouble. « On aurait pu, dit Ch. Nodier, le retrouver tout entier dans le dictionnaire des Caraïbes et dans beaucoup d’autres, puisqu’il est tiré du dictionnaire de la nature. C’est la plus évidente des onomatopées. ») Cri de fatigue, grand effort, tel que celui d’une personne qui fend du bois, qui bat du fer, pétrit une pâte, etc. Mot pittoresque et expressif, maintenant tombé en désuétude :

Moult ils ont eu et peines et ahans.
Chanson de Roland.


|| S’est dit pour Labour : Mettre des terres à ahan.

Suer d’ahan, Faire un travail très-fatigant, se donner une peine extrême : Jupiter en sua d’ahan. (Costal.) N’est-ce point quelque misérable qui babille sur la félicité, comme ces pauvres diables qui suent d’ahan dans leurs greniers pour chanter la volupté et la paresse ? (Volt.)

— Fig. A voir les efforts que Sénèque se donne pour se préparer à la mort, à le voir suer d’ahan pour se roidir et s’assurer, et se débattres si longtemps…… (Montaig.)

AHANANT (a-a-nan) part. prés. du v. Ahaner.

AHANÉ part. pass. du v. Ahaner.

AHANER v. n. ou intr. (a-a-né — rad. ahan). Faire entendre le cri de ahan en travaillant : Le fendeur de bois ahane à chaque coup qu’il porte. À ses yeux, l’homme de labeur est fatalement un être grossier, déplaisant à voir, répugnant à approcher : il pioche, il lime, il ahane, il sue, il pue. (Proudh.)

— Par ext. Travailler avec peine, supporter une grande fatigue : Il a bien ahané avant de venir à bout de ce travail.

Ne vois-tu pas comment ahane Atlas ?
À peine il peut soutenir sur l’échine
Du ciel très-haut l’enflambée machine.
Marot.
De votre douce haleine
Esventez cette plaine,
Esventez ce séjour,
Cependant que j’ahane
À mon blé que je vanne
En la chaleur du jour.
Joach. Dubelloy.

— Fig. Souffrir : Je sais combien ahane mon âme en compagnie d’un corps si tendre, si sensible. (Montaig.) || Hésiter à prendre une résolution, un parti : Il a beaucoup ahané à donner son consentement à cette affaire. (Trév.)

— v. a. ou tr. S’est dit pour Labourer : C’est un pauvre homme, né de petites gens de labour qui encore ahanent les terres en notre pays. (Christine de Pisan.)

S’ahaner, v. pr. S’est dit autrefois pour Se donner beaucoup de peine : Comme son mari s’efforçait et s’ahanait; prenez patience, lui dit-elle. (Brant.)

AHANTA contrée de l’Afrique, dans la Guinée septentrionale. Villes princip. : Boussoua et Axim. Riche en mines d’or et bien cultivée.

AHASVÉRUS (a-âss-vé-russ) ou le Juif errant, personnage légendaire, condamné à l’immortalité et au mouvement perpétuel, qui n’a jamais que cinq sous à dépenser à la fois, mais qui trouve toujours cette faible somme dans sa poche. La légende du Juif errant n’est ni dans les évangiles qui ont été déclarés apocryphes, ni dans les œuvres des anciens Pères de l’Église. Elle paraît être originaire de Constantinople, vers le ive siècle, à l’époque de la découverte de la vraie croix. Il en existe deux versions principales : celle d’Orient, mentionnée au xiiie siècle par Mathieu Paris, moine de Saint-Albans, qui nomme le Juif errant Cartaphilus, et en fait le portier de Ponce-Pilate ; et celle d’Occident, plus ancienne en Europe, qui lui donne le nom d’Ahasvérus, et le fait cordonnier à Jérusalem. D’après cette dernière, lorsque Jésus, portant lui-même sa croix, passa devant l’atelier d’Ahasvérus, les soldats qui conduisaient l’auguste victime au Calvaire, émus de pitié, prièrent l’artisan de lui laisser prendre dans sa boutique quelques instants de repos. Ahasvérus refusa, et s’adressant au Sauveur : « Marche ! Marche donc ! dit-il avec brutalité. — Marche toi-même ! lui répondit une voix céleste. Tu parcourras toute la terre, sans pouvoir t’arrêter nulle part, et cela jusqu’à la consommation des siècles. » Dès le lendemain, Ahasvérus, poussé par une force surnaturelle, dut, pour accomplir l’arrêt divin, commencer son interminable voyage. « Jamais on ne l’a vu rire, dit un écrit qui date de 1618. Dans quelque lieu qu’il allât, il parlait toujours la langue du pays. Il y a beaucoup de gens de qualité qui l’ont vu en AngIeterre, en France, en Italie, en Hongrie, en Perse, en Suède, en Danemark, en Écosse et dans d’autres contrées ; comme aussi, en Allemagne, à Rostock, à Weimar, à Dantzig, à Kœnigsberg. En l’année 1575, deux ambassadeurs du Holstein l’ont rencontré à Madrid. En 1599, il se trouvait à Vienne, et en 1601 à Lubeck. Il a été rencontré l’an 1616 en Livonie, à Cracovie et à Moscou, par beaucoup de personnes qui se sont même entretenues avec lui. On voit que les témoignages ne manquent pas. Ajoutons-y celui de la fameuse complainte qui donne au Juif errant le nom d’Isaac Laquedem, et qui nous le montre accosté et régalé d’un pot de bière fraîche par les bourgeois de Bruxelles, en Brabant :


Un jour, près de la ville
De Bruxelles, en Brabant,
Des bourgeois fort dociles
L’accostèrent en passant.
Jamais ils n’avaient vu
Un homme aussi barbu, etc.

D’autres œuvres que ce morceau de poésie, où nous voyons rimer choses avec Europe, ont été inspirées par la merveilleuse légende. Gœthe, dans sa jeunesse, en 1774, eut l’idée de prendre l’histoire du Juif errant pour le sujet d’une épopée. Dans ses mémoires, il expose le plan de ce poëme projeté : « Je voulais, dit-il, me servir de cette légende, comme d’un fil conducteur, pour représenter toute la suite de la religion et des révolutions de l’Église. » Un autre célèbre poëte allemand, Schubart, a laissé un fragment lyrique sur le Juif éternel. Il y décrit les continuels et vains efforts que fait Ahasvérus pour sortir de la vie. Ce malheureux cherche partout la mort et ne peut la trouver nulle part. Il se précipite dans le gouffre de l’Etna, et il en est rejeté vivant ; il affronte la mitraille, la dent des bêtes féroces, la hache des bourreaux, la colère des tyrans, et il ne peut mourir ! Les biographes de Schubart nous apprennent que ce morceau, composé d’une centaine de fort beaux vers, faisait partie, dans la pensée du poëte, d’un vaste ensemble où le Juif immortel devait apparaître élevé au-dessus de l’espace et du temps, embrassant dans son souvenir l’histoire tout entière ; et traçant lui-même un tableau épique de toutes les merveilles et de toutes les révolutions de la nature et des empires, auxquelles il avait assisté. En France, nous avons l’Ahasvérus de M. Quinet, qui fait du Juif errant la personnification du genre humain depuis l’ère chrétienne ; un long roman d’Eugène Sue, le Juif-Errant, œuvre de guerre contre les jésuites ; enfin, une chanson de Béranger, dont nous citerons ici le dernier couplet :


J’outrageai d’un rire inhumain
L’Homme-Dieu respirant à peine…
Mais sous mes pieds fuit le chemin ;
Adieu, le tourbillon m’entraîne.
Vous qui manquez de charité,
Tremblez à mon supplice étrange :
Ce n’est point sa divinité,
C’est l’humanité que Dieu venge.

Le Juif errant est évidemment l’image des destinées du peuple juif depuis le christianisme. Le Juif errant n’a point de toit, point de foyer : le peuple juif n’a point de patrie. Le Juif errant est obligé de marcher, sans s’arrêter : le peuple juif n’est établi nulle part d’une manière fixe. Le Juif errant a toujours cinq sous dans sa poche : le peuple juif, ruiné sans cesse par les exactions de la noblesse féodale et les confiscations des rois, revenait sans cesse à une situation prospère. Le Juif errant ne peut dépenser que cinq sous à la fois : le peuple juif, sans cesse obligé de dissimuler des richesses qu’aucune loi ne faisait respecter, a pris des habitudes de parcimonie. Le supplice du Juif errant durera toujours : le peuple juif est à jamais dispersé à la surface de la terre, sans espérance de pouvoir se réunir en corps de nation.

Par métonymie, le mot Ahasvérus est souvent employé comme nom commun, et sert à désigner quelqu’un dont la vie agitée présente quelque rapport avec le caractère du héros de la légende : Cet homme est un des infatigables ahasvérus qui passent leur vie à chercher ce qu’ils appellent la vérité ; c’est pour cela qu’on l’a vu dans tous les camps. (L. Desnoyers.)

Ahasvérus, ouvrage de M. Edgar Quinet, publié en 1833. Dans ce drame en prose, qui a la forme de nos anciens Mystères, l’auteur, selon ses propres expressions, s’est proposé pour but « de reproduire quelques scènes de la tragédie universelle qui se joue entre Dieu, l’homme et le monde. » Ahasvérus, le juiif éternel, condamné, d’après la légende, à marcher toujours sur la terre, jusqu’au jugement dernier, personnifie l’humanité errant sans repos, d’espérances en espérances. L’ouvrage est divisé en quatre journées, coupées par trois intermèdes et encadrées dans un prologue et un épilogue. — Le prologue se passe dans le ciel. Il y a trois mille cinq cents ans que le jugement dernier, s’est fait dans Josaphat. Le Père éternel annonce aux saints qu’il va créer une autre terre, et que cette fois l’homme sera d’une argile meilleure. Mais avant de se remettre à l’œuvre, il ordonne à ses archanges de retracer devant les saints, en figures éternelles, les temps écoulés, tous les gestes et le sort accompli du vieux monde. Il veut que chaque temps, chaque siècle, parle son propre langage ; que, des montagnes et des plaines, les fleurs s’ouvrent pour dire le secret qu’elles ont si bien gardé au de leurs calices. — La première journée, intitulée la Création, nous conduit jusqu’à la venue de Jésus-Christ. Nous voyons d’abord le vieil Océan qui se plaint de sa solitude ; puis le Léviathan, l’oiseau Vinateyna, le Serpent, le poisson Macar, qui se proclament les maîtres de l’univers, et s’écrient : « C’est nous qui sommes Dieu ! » Bientôt paraissent les géants et les titans, premiers nés des hommes, que Dieu prescrit à l’Océan d’effacer de la terre comme un mot mal écrit dans son livre. Nous assistons ensuite aux migrations des tribus humaines, rassemblées au sommet de l’Himalaya ; l’une marche le long des rives du Gange, et va s’établir dans l’Inde ; l’autre prend le griffon pour guide, et s’arrête au pays de l’Iran ; une troisième suit l’ibis au bec d’or, aux pieds d’argent, qui la conduit dans la mystérieuse Égypte. Voici maintenant les grandes villes de l’Orient qui s’entretiennent ensemble, Thèbes, Babylone, Ninive, Persépolis, Saba, Bactres, Palmyre. Babylone propose de ne faire qu’un seul dieu de tous les dieux. Jérusalem leur apporte une nouvelle : ses prophètes