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visage, des mains, mais qui existe éternellement et absolument par elle-même et en elle-même, et de laquelle participent toutes les autres beautés. » C’est donc par une extension abusive que l’amour qui s’interdit la possession et la jouissance de l’objet aimé a reçu le nom de Platon. L’amour platonique, dans le sens où nous l’entendons, précède ordinairement l’autre amour, en constitue, à vrai dire, la première phase ; l’amour, tel que l’entendait Platon, commence par le réel et finit par l’idéal, prend pied en quelque sorte sur la terre pour s’envoler vers le ciel ; l’amour terrestre est le premier degré de l’initiation à l’amour ; l’amour céleste en est le but et le terme.

Amour céladonique. Nom donné quelquefois, et particulièrement par l’école fouriériste, à l’amour platonique, par allusion au doucereux Céladon, le héros de l’Astrée.

Parfait amour. Se dit familièrement et ironiquement de l’amour réduit au sentiment pur. || Filer le parfait amour, S’en tenir à l’amour chaste.

Amour pur, Amour qui s’interdit les jouissances, et jusqu’aux désirs sensuels. || Amour platonique, amour céladonique, parfait amour, amour pur, sont des expressions à peu près synonymes.

Amour libre. Se dit, par opposition au mariage, de l’amour dégage de tout lien civil et religieux, et n’ayant d’autre loi que le sentiment et les sens : De nos jours, beaucoup protestent contre le mariage, auquel ils substituent l’ amour libre. (Proudh.)

Pur amour. Se dit ordinairement de l’amour divin, lorsqu’il se dégage de toute préoccupation intéressée, c’est-à-dire de toute espérance du salut, de toute crainte de la damnation.

Amour mystique, Amour ressenti pour des êtres invisibles, et qui a la vivacité et l’ardeur de l’amour terrestre : L’amour mystique dévorait sainte Thérèse.

Amour unisexuel, Amour que deux personnes de même sexe ont l’une pour l’autre. V. Pédérastie et Tribadie.

Amour physique, sensuel, charnel. Se dit de l’amour qui recherche uniquement les jouissances corporelles, par opposition à l’amour platonique, à l’amour pur.

Amour de soi, Principe commun de toutes les passions, de tous les mouvements qui tendent au bonheur individuel : L’amour de soi bien entendu ne se sépare jamais de l’humanité. (Volt.) Dieu n’a pas seulement mis dans l’homme l’amour de soi, mais aussi l’amour des autres. (Joubert.) L’envie est la dépravation de l’amour de soi-même. (Boitard.) L’amour de soi est le motif de tous nos amours, et l’amour de Dieu en est le but. (J. Simon.)

Du trop d’amour de soi découlent tous nos vices.
Andrieux.

Faire l’amour, Avoir un commerce amoureux, se livrer à la galanterie : Il passe sa vie à faire l’amour. Il fait l’amour à toutes les femmes. (Acad.) Est-ce que vous croyez qu’on puisse faire l’amoursans proférer une parole ? (Volt.) Madame la marquise, boire sans soif et Faire l’amour en tout temps, c’est ce qui distingue l’homme des autres bêtes. (Beaumarch.)

Ah ! lâche, fais l’amour et renonce à l’empire.
Racine.

Beau comme l’amour, et elliptiquem., c’est un amour. Se dit d’une personne d’une grande beauté, d’une beauté accomplie : Il avait deux fils beaux comme l’amour. Quant à sa femme, quant à sa petite fille, c’est un amour. || Dans le même sens : Un amour d’homme. Un amour de femme. Un amour d’enfant.Tu es un amour de femme, ma Renée. (Balz.) C’est ça un amour d’homme ! (Balz.) C’était un amour de femme. (Balz.) Enfin, il est à tout propos qualifié d’un amour d’homme. {Balz.) || On l’applique même aux choses : Cette montre est un amour. Est-ce là un amour de presse ! dit l’imprimeur. (Balz.)

Pour l’amour de Dieu, Dans la seule vue de plaire à Dieu : Faire quelque chose pour l’amour de Dieu. (Acad.) || Les mendiants se servent fréquemment de cette locution pour solliciter la charité publique. Un moine espagnol entre un jour chez un figaro de village, et le prie humblement de lui faire la barbe por l’amor de Dios (pour l’amour de Dieu). Le frater, peu soucieux de telles pratiques, mais n’osant éconduire le religieux, le savonne à l’eau froide, prend le plus mauvais de ses rasoirs et lui écorche impitoyablement la figure. Pendant l’opération, on entend dans une chambre voisine un chat pousser d’affreux miaulements, et comme le perruquier demandait quelle pouvait en être la cause : « Ah ! dit le patient avec un gros soupir, c’est sans doute un pauvre chat à qui l’on fait la barbe pour l’amour de Dieu. » || Faire une chose pour l’amour de Dieu, La faire sans aucun intérêt. || Ironiq. Comme pour l’amour de Dieu, A contre-cœur. Se dit d’une chose faite ou donnée de mauvaise grâce, avec lésinerie : Vous avez l’air de travailler comme pour l’amour de Dieu. On lui en a donné comme pour l’amour de Dieu. || Employé interjectiv., Pour l’amour de Dieu signifie, De grâce, je vous en prie : Pour l’amour de Dieu ! ne me parlez plus de cet homme, de cette affaire. || Pour l’amour de quelqu’un, En considération, par l’affection qu’on a pour quelqu’un : Faites cela pour l’amour de moi. Je voudrais, pour l’amour de vous, que cela me fût possible. (Acad.) Je m’en réjouis pour l’amour de l’un et de l’autre, (Mol.) Je me purgerai pour l’amour de vous. (Mme de Sév.)

Avec amour. Se dit d’un ouvrage que l’artiste a pris plaisir à exécuter, à finir avec un soin extrême : Statue faite avec amour. Cet artiste travaille avec amour, peint avec amour. || Avec goût, avec grâce : Une robe de mérinos raisin de Corinthe, à dos plat et à manches justes, faite avec amour par Rigolette. (E. Sue.) || Avec satisfaction, avec plaisir : Il crut faire un brillant mariage, en estimant que son beau-père ne tarderait pas à lui laisser la terre qu’il arrondissait avec amour. (Balz.)

M’amour, mon amour, mon cher amour, etc., Termes d’affection intime dont on se sert en parlant à un homme ou à une femme : C’est assez, m’amour, laissons cela. (Mol.) Oui, tu as raison, mon amour, dit-elle à son mari. (Balz.) Eh bien, je t’ai trompée, mon cher amour, et ’tu vas nous juger. (Balz.)

— Prov. C’est un vrai remède d’amour. Se dit d’une femme très-laide, || Froides mains, chaudes amours, La froideur des mains annonce d’ordinaire un tempérament ardent. || L’amour apprend aux ânes à danser, L’amour donne de la grâce aux gens les plus grossiers. || Les lunettes et les cheveux gris sont des remèdes d’amour, Lorsque les infirmités de l’âge sont venues, on ne doit plus prétendre inspirer de l’amour. || A battre faut l’amour, Les mauvais traitements chassent l’amour. || Que la nuit me prenne là où sont mes amours, On s’attarde volontiers dans un endroit où l’on se plaît, auprès de celle que l’on aime ; expression poétique d’un vœu tendre et délicat, qui rappelle celui de Léandre. || L’amour et la pauvreté font ensemble mauvais ménage, Le ménage le plus uni cesse de l’être quand il est pauvre ; la pauvreté tue l’amour. Les Anglais disent plus originalement : Lorsque la Pauvreté entre par la porte, l’Amour s’envole par la fenêtre. || On revient toujours à ses premières amours, On pense longtemps encore à l’objet que l’on a aimé pour la première fois. Lebrun a rendu poétiquement cette pensée dans le quatrain suivant :

Ce premier sentiment de l’âme
Laisse un long souvenir que rien ne peut user,
Et c’est dans la première flamme
Qu’est tout le nectar du baiser.

|| Il n’y a point de laides amours, Un cœur épris embellit dans son imagination l’objet de sa passion, et lui donne un éclat que la nature lui a refusé. Ce proverbe a trouvé sous la plume magistrale de Molière un admirable développement :

...L’on voit les amants vanter toujours leur choix ;
Jamais leur passion n’y voit rien de blâmable,
Et dans l’objet aimé tout leur paraît aimable.
Ils comptent les défauts pour des perfections,
Et savent y donner de favorables noms :
La pâle est au jasmin en blancheur comparable ;
La noire à faire peur, une brune adorable ;
La maigre a de la taille et de la liberté ;
La grosse est, dans son port, pleine de majesté ;
La malpropre sur soi, de peu d’attraits chargée,
Est mise sous le nom de beauté négligée ;
La géante parait une déesse aux yeux ;
La naine, un abrégé des merveilles des cieux ;
L’orgueilleuse a le cœur digne d’une couronne ;
La fourbe a de l’esprit ; la sotte est toute bonne ;
La trop grande parleuse est d’agréable humeur,
Et la muette garde une honnête pudeur.
C’est ainsi qu’un amant, dont l’amour est extrême,
Aime jusqu’aux défauts des personnes qu’il aime.

— Fauconn. Voler d’amour. Se dit en parlant des oiseaux qu’on laisse voler en liberté, afin qu’ils soutiennent les chiens.

— Hist. ecclés. Frères de l’amour. Nom adopté par les membres d’une secte fanatique qui parut en Hollande, vers la fin du XVIe siècle.

Jeu de l’amour, Sorte de jeu qui ressemble au jeu de l’oie, et qui se joue avec deux tableaux et deux dés.

— Peint. Certain duvet qui rend la toile plus propre à recevoir la colle.

— Constr. Onctuosité du plâtre, qui se fait sentir à la main quand on le manie. Les ouvriers disent que le plâtre a ou n’a pas d’’’amour, selon que, par suite du degré de cuisson, il donne un bon ou un mauvais résultat.

— Métall. Syn. d’affinité. Les étameurs de fer-blanc disent qu’il n’y a plus d’amour, lorsque le bain d’étain perd son affinité pour le fer après une succession de trempes ; pour rendre l’amour, on ajoute une nouvelle dose de cuivre.

— Bot. Amour en cage. Nom vulgaire de l’alkékenge avec son fruit.

Cours d’amour, Tribunaux composés de dames illustres par leur naissance et leur savoir, et dont la juridiction s’étendait sur toutes les questions de galanterie et les contestations d’amour. Les cours d’amour ont existé en France du XIIe au XIVe siècle. Elles rendaient des arrêts, soit sur des questions générales ; par exemple : L’amour peut-il exister entre gens mariés ? soit sur des cas particuliers que les amants leur soumettaient. « Autant que je puis me figurer la partie morale de cette jurisprudence, dit Henri Beyle, cela devait ressembler à ce qu’aurait été la cour des maréchaux de France, établie pour le point d’honneur par Louis XIV, si toutefois l’opinion eût soutenu cette institution. » Dans un ouvrage intitulé : De Arte amatoria et Reprobatione amoris, André, chapelain de la cour de France, qui vivait vers 1170, cite les cours d’amour des dames de Gascogne, d’Ermengarde, vicomtesse de Narbonne (1144-1194), de la reine Éléonore, de la comtesse de Flandre, de la comtesse de Champagne (1174). Jean de Nostradamus parle de celles qui siégeaient à Signe, à Pierrefeu, à Romanin, à Avignon. « Les tensons, dit-il dans sa Vie des poëtes provençaux, étoient disputes d’amour qui se faisoient entre les chevaliers et dames, entre poëtes parlant ensemble de quelque belle et subtile question d’amour ; et où ils ne s’en pouvoient accorder, ils les envoyoient, pour en avoir la définition, aux dames illustres présidentes qui tenoient cour d’amour ouverte et plainière à Signe et Pierrefeu, ou à Romanin, ou à autres, et là-dessus en faisoient arrests qu’on nommoit lous arrests d’amours. »

Voici le dispositif d’un jugement rendu par une cour d’amour :

Question : « Le véritable amour peut-il exister entre personnes mariées ? »

Jugement de la comtesse de Champagne : « Nous disons et assurons, par la teneur des présentes, que l’amour ne peut étendre ses droits sur deux personnes mariées. En effet, les amans s’accordent tout mutuellement et gratuitement sans estre contraints par aucun motif de nécessité, tandis que les époux sont tenus, par devoir, de subir réciproquement leurs volontés, et de ne se refuser rien les uns aux autres... Que ce jugement, que nous avons rendu avec une extrême prudence et d’après l’avis d’un grand nombre d’autres dames, soit pour vous d’une vérité constante et irréfragable. Ainsi jugé l’an 1174, le troisième jour des calendes de mai, indiction VIIe

Presque tous les arrêts des cours d’amour ont des considérants fondés sur les règles d’un Code d’amour qu’André le Chapelain nous a conservé. Ce Code d’amour est du XIIe siècle et composé de trente et un articles, dont voici les principaux :

L’allégation du mariage n’est pas excuse légitime contre le mariage ;

Qui ne sait celer ne sait aimer ;

Personne ne peut se donner à deux amours ;

L’amour peut toujours croître ou diminuer ;

N’a pas de saveur ce que l’amant prend de force à l’autre amant ;

On prescrit à l’un des amants pour la mort de l’autre une viduité de deux années ;

Personne ne peut aimer, s’il n’est engagé par l’espoir d’être aimé ;

Il ne convient pas d’aimer celle qu’on aurait honte de désirer en mariage ;

L’amour véritable n’a désir de caresse que venant de celle qu’il aime ;

Amour divulgué est rarement de durée ;

Le succès trop facile ôte bientôt son charme à l’amour : les obstacles lui donnent du prix ;

Toute personne qui aime pâlit à l’aspect de ce qu’elle aime ;

L’amour qui s’éteint tombe rapidement, et rarement se ranime ;

Du soupçon et de la jalousie qui en dérive croît l’affection d’amour ;

L’habitude trop excessive des plaisirs empêche la naissance de l’amour ;

Rien n’empêche qu’une femme ne soit aimée par deux hommes et un homme par deux femmes.

Quelle était la peine encourue lorsqu’on n’obéissait pas aux arrêts des cours d’amour ? Jusqu’à quel point l’opinion sanctionnait-elle les arrêts des cours d’amour ? Y avait-il autant de honte à s’y soustraire qu’aujourd’hui à une affaire commandée par l’honneur ? On ne trouve rien dans André ni dans Nostradamus qui permette de résoudre ces questions.

Le roi René d’Anjou s’efforça vainement de soutenir les cours d’amour. « La dernière imitation qu’on en fit, dit M. Bachelet, eut lieu à Rueil, où Richelieu réunit une assemblée pour juger une question de galanterie soulevée à l’hôtel de Rambouillet.

Amour du prochain. Ordre de chevalerie créé en 1708, par Elisabeth-Christine, impératrice d’Allemagne, qui en distribua les insignes aux principaux personnages de sa suite. Il ne survécut pas à sa fondatrice.

Gramm. Le mot amour offre un des exemples les plus bizarres de nos singularités grammaticales. Comme il est un de ceux qu’emploient le plus souvent les poëtes, et que les poëtes se sont toujours permis des licences pour échapper aux difficultés qu’entraînent la rime et la mesure, il fut longtemps permis en poésie de faire amour du masculin ou du féminin, selon les nécessités du vers, et cela au singulier aussi bien qu’au pluriel. Voici d’abord des exemples pour le singulier :

Ton insolent amour, qui croit m’épouvanter.
Racine.
Ciel ! aurais-tu permis que mon funeste amour
Exposât mon amant tant de fois en un jour !
Racine.
. . . . . . J’aime encor ma défaite,
Qui fait le beau succès d’une amour si parfaite.
Corneille.
Je plains mille vertus, une amour mutuelle.
Racine.
Et qui sait si déjà quelque bouche infidèle
Ne l’a point averti de votre amour nouvelle.
Racine.

Voici maintenant d’autres exemples pour le pluriel :

Oubliez avec moi de malheureux amours.
Crébillon.
Il fallut oublier dans ses embrassements
Et mes premiers amours et mes premiers serments.
Voltaire.
Et leurs grossiers repas et leurs grossiers amours.
Delille.
Vient un danseur, nouveaux amours.
Béranger.
Mais hélas ! Il n’est point d’éternelles amours.
Boileau.
Les solides vertus font les seules amours.
Voltaire.
Le printemps lui rendra sa pompe et ses atours,
Et ne me rendra pas mes premières amours
La Harpe.
Que de charmes n’ont point leurs amours éternelles !
Delille.

Mais les grammairiens, sans prétendre oter aux poëtes leurs licences, prirent celle de vouloir au moins réglementer la prose, et, sans même expliquer les motifs d’une décision qui fit longtemps autorité, ils déclarèrent qu’en prose amour devait toujours être masculin au singulier et féminin au pluriel, sauf toutefois le cas où les amours sont de petits dieux ou de beaux enfants, soit en réalité, soit en peinture.Cependant on lit dans l’abbé Barthélémy : Je voudrais vous embrasser de tous les amours honnêtes, et Mme de Staël a écrit : Je détestais cet art de rabattre tous les élans et de désenchanter tous les amours. Aujourd’hui, il y a une tendance manifeste à faire le mot amour du masculin partout. Cependant il faut reconnaître que l’oreille serait choquée d’entendre prononcer de fous amours, tandis que de folles amours n’a rien qui la blesse. Le grammairien éclairé doit donc reconnaître encore qu’au pluriel amours peut être du féminin quand il désigne des passions légères, illégitimes, c’est-à-dire quand il se rapproche pour le sens du mot amourettes. Mais le masculin est seul admissible quand on parle de sentiments nobles,sérieux, durables, comme dans les phrases citées de Barthélémy et de Mme de Staël.Quant aux poëtes, ils n’ont pas entièrement perdu le droit de changer le genre du mot, selon les exigences de la rime ou de la mesure ; cependant ils ne se permettent guère aujourd’hui cette licence qu’au pluriel, et l’amour maternelle nous choquerait presque autant chez un poëte moderne que chez un prosateur.

Encycl. Philos. I. — Définition de l’amour ; des diverses espèces d’amour. Aucun mot ne montre mieux que le mot amour le peu de précision de la langue des sentiments. Tantôt il se généralise, et devient synonyme de penchant, de goût ; tantôt il sert à désigner d’une façon spéciale l’affection, l’attachement d’une personne pour d’autres personnes ; tantôt il se restreint au point de n’exprimer que l’attrait des sexes, soit moral, soit uniquement sensuel. Quelques philosophes croient pouvoir embrasser les diverses espèces d’amours dans une définition générale : « L’amour, disent-ils, est un mouvement de l’âme qui se porte avec bonheur vers un objet qui l’attire. » L’inconvénient de cette définition, née du langage ordinaire, auquel elle semble vouloir donner une valeur scientifique, est de ramener arbitrairement à l’unité, de faire rentrer les uns dans les autres des phénomènes aussi différents que les amours de choses et les amours de personnes. Nous devons dire qu’avant Descartes, la distinction de ces deux espèces d’amours était en quelque sorte classique : on appelait amour de bienveillance celui qui excite à vouloir du bien à ce qu’on aime ; amour de concupiscence, celui qui fait désirer la chose qu’on aime.

Descartes compte six passions primitives : l’admiration, l’amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse. Il définit l’amour « une émotion de l’âme, causée par le mouvement des esprits animaux, qui l’invite à se joindre de volonté aux objets qui paraissent lui être convenables. » Cette expression se joindre de volonté, il l’explique en disant qu’il « n’entend pas ici parler du désir, qui est une passion à part et se rapporte à l’avenir, mais du consentement par lequel on se considère dès à présent comme joint à ce qu’on aime, en sorte qu’on imagine un tout duquel on pense être seulement une partie, et que la chose aimée en est une autre. » Quant à la division de l’amour en amour de bienveillance et en amour de concupiscence, bien qu’elle soit consacrée par l’usage, il croit devoir la rejeter, parce qu’elle lui paraît regarder seulement les effets et les objets de l’amour, et non point son essence. « Les passions, dit-il, qu’un ambitieux a pour la gloire, un avaricieux pour l’argent, un ivrogne pour le vin, un brutal pour une femme qu’il veut violer, un homme d’honneur pour son ami ou pour sa maîtresse, et un bon père pour ses enfants, sont certainement bien différentes entre elles ; toutefois, en ce qu’elles participent de l’amour, elles sont semblables. Mais les quatre premiers n’ont de l’amour que pour la possession des objets auxquels se rapporte leur passion, et n’en ont point pour les objets mêmes. Au lieu que l’amour qu’un bon père a pour ses enfants est si pur qu’il ne désire rien avoir d’eux, et ne veut point les posséder autrement qu’il fait, ni être joint à eux plus étroitement qu’il est déjà ; mais, les considérant comme d’autres soi-même, il recherche leur bien comme le sien propre, ou même avec plus de soin, pour