Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 1, A-Am.djvu/371

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L’Hymen, en ce beau jour, t’apprête
Une couronne de sa main.
Tu t’en repentiras, peut-être, dès demain.
Souvent, quoique l’Amour soit prié de la fête,
Il ne l’est pas du lendemain. Regnard.
*
* *
Quand la beauté seule séduit.
On s’aime un jour, puis on languit :
L’amour s’envole, on se déteste.
Mais quand le cœur cède aux talents.
Au caractère, aux sentiments,
Le temps s’enfuit, et l’amour reste.
Cahusac.
*
* *
Rose et Colin s’aimaient comme on aime au village ;
L’hymen devait bientôt couronner leurs désirs ;
En attendant, ils se donnaient pour gage
Mille baisers ; c’étaient mille plaisirs.
« Laissez donc là ce beau négoce,
Disait avec humeur un de leurs grands parents :
Vous pourrez, quand viendra le temps,
Faire l’amour après la noce !
— Mon vieil ami, chaque chose a son tour,
Lui répond un voisin ; ne gronde pas, écoute :
Ils auront bien le temps, sans doute,
Mais alors auront-ils l’amour ? » Deville.

— Prov. littér. :

Amour ! amour ! quand tu nous tiens,
On peut bien dire : Adieu, prudence !

Allusion à deux vers de la fable de La Fontaine, le Lion amoureux. Un lion, devenu

amoureux d’une jeune fille, se laisse, sur la demande du père, rogner les griffes et limer les dents :

Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantelée.
On lâcha sur lui quelques chiens :
Il fit fort peu de résistance.

Amour ! amour ! quand tu nous tiens,
On peut bien dire : Adieu, prudence !

Dans l’application, ces deux vers se disent des amoureux qui, dans l’ivresse de la passion, se dépouillent volontairement d’une arme dont plus tard ils regretteront la perte, et, généralement, de toutes les folies, de toutes les imprudences qui sont trop souvent les conséquences

de l’amour :

« Aussitôt que le coq de bruyère a ressenti les premières atteintes de l’amour, il se hisse sur la flèche la plus aiguë du plus haut sapin de la montagne, et adresse de là son appel passionné à toutes les poules des alentours. Pendant qu’il exécute sa cavatine, l’artiste est tellement absorbé par son art et tellement enivré du propre bruit de sa voix, qu’il en oublie l’univers et jusqu’à la méchanceté de l’homme, qui profite de son tapage et de son émotion pour s’approcher de lui traîtreusement et l’occire. Amour, amour, quand tu nous tiens, on peut bien dire : Adieu, prudence. »

                 Toussenel.

— Prov. littér. : Amour, tu perdis Troie, Allusion à un hémistiche de La Fontaine, dans la fable les Deux Coqs :

Deux coqs vivaient en paix : une poule survint,
Et voila la guerre allumée.
Amour, tu perdis Troie ! et c’est de toi que vint
Cette querelle envenimée,

Où du sang des dieux même on vit le Xanthe teint.

On fait de fréquentes allusions à cet hémistiche pour rappeler les malheurs causés par la passion de amour :

« Mais l’homme propose et Dieu dispose. A peine sorti des bancs de philosophie, Clérisseau se trouva chef de famille par la mort de ses parents : il fallut recueillir et débrouiller une succession embarrassée. Bientôt l’amour se mit de la partie : il ne perdit pas Troie, mais il retint mon ami, qui, pour s’en guérir, se maria. »            A. de Pontmartin.

« Le paon, fier d’étaler l’iris qui le décore,
Du dindon rengorgé l’orgueil plus sot encore,
Pourraient à nos dépens égayer ton pinceau ;
Là, de tes deux pigeons tu verrais le tableau,
Et deux coqs amoureux, à la discorde en proie,
Te feraient dire encore : « Amour, tu perdis Troie ! »
Delille.

— Prov. littér. : Pour l’amour du grec, Allusion à deux vers de Molière, dans les Femmes savantes. V. Grec.

— Prov. littér. :

Les tourterelles se fuyaient ;
Plus d’amour, partant plus de joie.

Allusion à deux vers de la fable des Animaux malades de la peste. V. Animal.

— Prov. littér. : Ton amour m’a refait une virginité, Allusion à un vers de V. Hugo. V. Virginité.

Amours (les), un des quatre recueils élégiaques d’Ovide. Le poëte en avait d’abord formé cinq livres qu’il réduisit ensuite à trois. Les Amours sont l’œuvre de la jeunesse de l’auteur ; aussi, bien qu’on y trouve déjà les défauts inhérents à son talent, tels que l’abus de la facilité, de fréquentes répétitions d’idées et même du mauvais goût, on ne saurait se refuser à y reconnaître beaucoup d’esprit et d’agrément, de la fraîcheur et de l’éclat dans les descriptions, une foule d’idées ingénieuses et de détails charmants. Mais peut-être y a-t-il aussi dans ces élégies plus de libertinage que de passion, plus d’esprit que de véritable tendresse ; Ovide est avant tout le chantre de l’amour sensuel ; il ne soupçonne même pas ces chastes ardeurs que d’autres avant lui rêvaient, que Virgile a presque dépeintes, et qui ont pour fin non la brutale satisfaction des sens, mais l’union des âmes, le sacrifice mutuel et le dévouement. L’héroïne des Amours est cette beauté que le poëte a rendue si célèbre sous le nom de Corinne, et qui, la première, éveilla son génie. Quelques auteurs ont pensé que Corinne n’était autre que la fille d’Auguste, cette Julie si fameuse par ses débordements, et ce serait la découverte de cette liaison qui aurait amené la disgrâce et l’exil d’Ovide.

Amour et Psyché (l’), charmante fable dont Apulée paraît être l’inventeur, et qui est comme un joyau enchâssé dans l’Ane d’or.

Voici comment cet épisode est amené dans le roman d’Apulée. Un jeune homme, nommé Lucius, est métamorphosé en âne ; bientôt il tombe entre les mains d’une bande de voleurs, qui lui font prendre avec eux le chemin de leur caverne. Un jour, après une expédition dans les alentours, ils rentrent dans leur repaire, amenant une jeune personne de condition noble, et belle comme le jour, qu’ils avaient ravie à son fiancé au moment où elle allait lui donner sa foi. Une vieille servante est chargée de prendre soin de la belle affligée et de la consoler. Pendant une absence des brigands, la vieille, qui était restée seule avec la prisonnière, essaye de la distraire en lui contant en ces termes l’histoire de Psyché :

« Il y avait une fois une jeune princesse douée d’une beauté si extraordinaire, que les étrangers accouraient en foule pour admirer ce prodige, et qu’ils se prosternaient devant elle comme si c’eût été Vénus elle-même. La déesse des amours, irritée de voir ses honneurs divins passer à une simple mortelle, conçut une haine implacable contre cette rivale inattendue ; elle chargea son fils Cupidon de sa vengeance, et lui commanda d’inspirer à la jeune fille une passion déshonorante pour quelque être ignoble, pour le dernier des misérables. Cependant personne ne se présente pour demander la main de Psyché, et depuis longtemps déjà ses deux sœurs ont contracté avec des monarques de brillantes unions. Le père de l’infortunée princesse, se croyant l’objet du courroux céleste, interroge un antique oracle, dont il reçoit cette cruelle réponse :

Expose sur un roc cette fille adorée,
Pour un hymen de mort pompeusement parée :
N’espère point un gendre issu d’un sang mortel,
Mais un affreux dragon, monstre horrible et cruel,
Qui, parcourant les airs de son aile rapide,
Porte en tous lieux la flamme et le fer homicide ;
Que craint Jupiter même, et qui, l’effroi des dieux,
Fait reculer le Styx et ses flots ténébreux.

Lorsque le moment d’accomplir l’oracle fut arrivé, les parents de Psyché la conduisirent, au milieu des apprêts d’une cérémonie funèbre, sur le haut d’une montagne escarpée, où la malheureuse jeune fille resta seule et abandonnée. Tremblante d’effroi, elle se noyait dans les pleurs, lorsque tout à coup elle se sentit enlevée doucement par Zéphyr, qui la déposa dans une profonde vallée, sur un tapis de fleurs et de verdure. Psyché pénétra alors dans un palais somptueux qui s’offrait à ses regards, demeure enchantée, où des voix harmonieuses exécutèrent pour elle de suaves concerts, et où elle fut servie par des nymphes invisibles. Lorsque la nuit fut arrivée, un personnage, un être mystérieux se glissa dans le lit de Psyché toute tremblante, et devint son époux, après l’avoir rassurée par les protestations de l’amour le plus ardent ; puis il se retira avant que le jour parût. Chaque soir il venait ainsi partager sa couche, lui recommandant de ne jamais chercher à voir sa figure, et la menaçant des plus terribles malheurs si elle cédait à une fatale curiosité. Il lui annonça que ses deux sœurs étaient à sa recherche, qu’elles parviendraient bientôt au rocher, et la pria tendrement de ne point les attirer auprès d’elle, prévoyant les pernicieux conseils que la jalousie allait leur inspirer. Cependant il céda aux supplications de Psyché, qui désirait vivement recevoir les embrassements de ses sœurs, et lui accorda à regret la permission de les entretenir. Lorsque celles-ci arrivèrent sur la montagne, le Zéphyr, par ordre de Psyché, les transporta à ses côtés. La vue de toutes ces merveilles, de toutes ces richesses dont leur jeune sœur avait la disposition, fit éclore dans leur cœur le poison de l’envie ; l’état brillant de Psyché les humilia, et elles se promirent de détruire ce bonheur. Dans une nouvelle entrevue, elles fortifièrent les soupçons cruels qui assiégeaient parfois la jeune femme sur la nature inconnue de son époux, et lui rappelèrent l’oracle qui avait déclaré qu’elle était destinée en mariage à un monstre affreux. Cet époux invisible devait être « un serpent énorme, aux replis volumineux, dont le cou était gonflé d’un poison terrible. » On l’avait vu le soir revenir, après avoir exercé ses ravages, et nager dans les eaux du fleuve le plus voisin. Sans doute, après avoir abusé de ses charmes, il se ferait un jeu cruel de la dévorer, elle et l’enfant qu’elle portait dans son sein.

Après ces révélations perfides, elles engagent Psyché à se délivrer elle-même en poignardant le monstre pendant les douceurs de son premier sommeil. Psyché, obsédée alors par les Furies et cédant à une implacable fatalité, se lève silencieusement la nuit suivante, prend la lampe allumée d’avance, qu’elle a eu soin de cacher, s’arme d’un poignard, et s’approche du lit, prête à frapper. Elle dirige la lumière sur la figure du mystérieux époux… Quel spectacle ! elle voit de tous les monstres le plus doux et le plus aimable, Cupidon lui-même, paré de toutes les grâces de l’adolescence, dans tout l’éclat d’une beauté qui s’épanouit ! A ses épaules brillent de petites ailes, où l’éclat de la rose se marie à la blancheur du lis, et dont le moelleux et léger duvet frémit avec un doux bruissement. Au pied du lit reposent son arc, son carquois et ses flèches. Mais, tandis que plongée dans l’extase, haletante de bonheur. Psyché approche la lampe pour mieux contempler les traits charmants du dieu, qui repose dans un gracieux abandon, une goutte d’huile brûlante tombe sur l’épaule de Cupidon, qui s’éveille aussitôt. Voyant que son secret a été outrageusement violé, il s’envole loin de la malheureuse Psyché, en lui reprochant sa défiance et sa crédulité. Psyché, au désespoir, voulut s’ôter la vie ; mais le fleuve dans lequel elle se précipita la rejeta sur ses rives. Elle voulut du moins savourer le plaisir de la vengeance, et alla visiter successivement ses deux sœurs, à chacune desquelles elle raconta que Cupidon, son époux, après l’avoir chassée, avait fait choix d’elle pour lui succéder. Abusées par ce récit, elles se rendirent sur la montagne, et se confièrent imprudemment à Zéphyr ; mais elles tombèrent et se brisèrent dans leur chute. Psyché n’épargna rien pour retrouver Cupidon ; elle s’adressa successivement à Cérès et Junon, qui éludèrent sa prière, et fut rencontrée enfin par l’Habitude, une des suivantes de Vénus, qui la faisait rechercher activement pour se venger sur elle de ce qu’elle avait eu témérité d’enchaîner l’Amour même par ses charmes. Dans sa colère, elle livra Psyché aux tortures de l’Inquiétude et de la Tristesse, deux autres de ses suivantes, qui mirent tout en œuvre pour satisfaire la soif de vengeance de leur maîtresse. Vénus enchérit encore sur ces mauvais traitements, en soumettant la pauvre Psyché à des épreuves qui auraient effrayé Hercule lui-même, mais qu’elle parvint néanmoins à surmonter, grâce à un secours invisible. Elle aurait infailliblement succombé à la dernière, qui était la plus terrible, sans les conseils que lui donna la voix mystérieuse d’une tour, du haut de laquelle elle voulait se précipiter. La déesse lui avait ordonné de descendre aux enfers, avec la mission perfide de demander à Proserpine un peu de sa beauté dans une boîte. Parvenue au sombre empire, à travers d’effroyables dangers, elle reçut de la divinité infernale la boîte qu’elle était venue chercher, mais que la voix lui avait prudemment défendu d’ouvrir. Revenue sur la terre, cette autre Pandore ne put résister à sa curiosité, et même au désir de prendre pour elle-même une partie de ce que renfermait la boîte. Elle l’ouvrit ; mais aussitôt il s’en dégagea une vapeur soporifique qui la renversa tout endormie, sans qu’elle pût se relever. Cupidon, qui ne cessait de la surveiller amoureusement, s’empressa alors d’accourir et la réveilla avec la pointe d’une de ses flèches, après avoir renfermé de nouveau le Sommeil dans la boîte, qu’il ordonna à Psyché de porter à Vénus. Pour lui, craignant d’être livré à la Sobriété, comme sa mère l’en avait menacé, il s’envola aussitôt jusqu’auprès de Jupiter pour implorer sa protection. Le maître de l’Olympe fit alors assembler les dieux, et, en leur présence, il unit Cupidon et Psyché. Les noces furent célébrées joyeusement : Vénus elle-même y dansa ; Psyché but le nectar et l’ambroisie et fut gratifiée de l’immortalité. Au bout de neuf mois, elle mit au monde une fille, qui fut appelée la Volupté.

Apulée a revêtu de tous les trésors d’une riche imagination et des charmes d’un style plein d’images brillantes tous les détails de cette fable ingénieuse, que l’on croirait empruntée aux Mille et une Nuits, si l’idée philosophique et morale qui la remplit ne lui assignait une origine bien autrement élevée.

Suivant quelques mythographes, cette fable n’appartient pas, à proprement parler, à la mythologie ; ce serait une allégorie due à quelque platonicien ou à quelque sectateur des doctrines orphiques, lequel y a exposé l’amour inspiré par la beauté de l’âme ainsi que par celle du corps, les effets d’une curiosité téméraire, et la purification de l’esprit par les souffrances ; et cette allégorie, Apulée n’aurait fait que la populariser, en lui donnant la forme vive et touchante qu’elle revêt dans l’Ane d’or. Mais, quand on pénètre plus avant dans le domaine des interprétations, on est loin d’être satisfait, et jamais sans doute on n’arrivera à expliquer complètement ce mythe religieux. « Fulgence, évêque de Carthage, prétend que toute cette histoire enveloppe un sens moral fort beau : la ville, dont il est parlé d’abord représente le monde ; le roi et la reine de cette ville sont Dieu et la matière. Ils ont trois filles, qui sont la chair, la liberté et l’ âme. Cette dernière, que le mot de Psyché signifie en grec, est la plus jeune des trois, parce que l’âme n’est infusée dans le corps qu’après qu’il est formé. Elle est plus belle que les deux autres, parce que l’âme est supérieure à la liberté, et plus noble que la chair. Vénus, qui est l’amour des plaisirs sensuels, lui porte envie, et lui envoie Cupidon, c’est-à-dire la concupiscence, pour la perdre ; mais, parce que la concupiscence peut avoir pour objet le bien et le mal, ce Cupidon, ou la concupiscence, vient à aimer Psyché, qui est l’âme, et s’unit intimement avec elle. Il lui conseille de ne point voir son visage, c’est-à-dire de ne point connaître les plaisirs sensuels, et de ne point croire ses sœurs, qui sont la chair et la liberté, qui lui en veulent inspirer l’envie. Mais Psyché, animée par leurs conseils dangereux, tire la lampe du lieu où elle l’avait cachée, c’est-à-dire pousse au dehors et met à découvert la flamme du désir qu’elle portait cachée dans son cœur ; et l’ayant connue, ou, ce qui est la même chose, ayant fait l’expérience des plaisirs, elle s’y attache avec ardeur. Enfin Psyché, considérant avec trop d’attention Cupidon, le brûle d’une goutte d’huile enflammée, tombée de sa lampe : ce qui marque que plus on se livre aux voluptés de la concupiscence, plus elle augmente, s’enflamme, et imprime sur nous la tache du péché. Cupidon ôte ensuite à Psyché ses richesses, la renvoie de son superbe palais, la laisse exposée à mille maux et à mille dangers. C’est la concupiscence qui, par l’expérience funeste des plaisirs criminels qu’elle procure à l’âme, la dépouille de son innocence et du trésor des vertus, la chasse de la maison de Dieu, et la laisse exposée à toutes les occasions de chute et de malheur qui se rencontrent dans la vie.»

Mais Apulée, auquel on attribue généralement la première idée de cette poétique légende, a-t-il pensé à tout cela ? Il est permis d’en douter. Certains commentateurs y voient une allusion à Pandore et à sa boîte fatale ; d’autres remontent même jusqu’au mythe du péché originel. Toutefois, l’idée simple qui s’en dégage le plus clairement, c’est que Psyché (en grec psuchè, âme) est la personnification de l’âme en lutte ici-bas avec toutes les passions, dont elle finit par triompher sur la terre pour s’envoler ensuite dans des régions plus pures, où elle reçoit enfin la récompense due à ses efforts.

Quoi qu’il en soit, ce délicieux épisode a été reproduit sous mille formes différentes dans les arts, la littérature, sur le théâtre, etc., et personne n’ignore l’imitation charmante qu’en a donnée La Fontaine, sous le titre de Psyché. V. Psyché.

Amour (De l’), par Plutarque. Ce petit traité, qui a la forme d’un entretien, est une imitation du Phèdre et du Banquet de Platon. L’auteur y met en parallèle l’amour unisexuel, si répandu en Grèce, et l’amour conjugal ; il conclut à la glorification de ce dernier. Un des personnages du dialogue, Protogène, n’approuve le mariage que parce qu’il entretient la population. L’union conjugale, dit-il, est nécessaire à la propagation de l’espèce humaine, et c’est avec raison que les législateurs en vantent l’excellence devant la multitude ; mais pour un véritable amour, il n’en existe pas même l’apparence parmi les femmes. La nature conduit l’homme par son appétit vers les aliments, afin qu’il satisfasse modérément ses besoins ; et s’il s’y livre avec excès, il se rend coupable de sensualité. De même, la nature a attaché du plaisir à l’union de l’homme et de la femme. Mais le désir effréné qui nous y entraîne n’est pas un véritable amour. Ce sentiment, quand il est inspiré par un jeune homme bien né finit par l’amitié et conduit à la vertu. L’amour d’un sexe pour l’autre, lors même qu’il a le plus heureux succès, se borne aux plaisirs des sens.

Plutarque combat cette honteuse doctrine. Le mariage, selon lui, n’est pas seulement le moyen de perpétuer la société humaine ; si le mariage n était qu’une union sans amour et sans amitié, ce serait la dégradation de la nature humaine. L’amour a part à l’union nuptiale ; il la rend douce et heureuse, il en fait la meilleure des amitiés de l’homme. L’amour unisexuel, tel qu’un enfant illégitime, conçu dans les ténèbres et né dans la vieillesse de ses parents, n’a paru que tard dans la vie, et il s’efforce d’en bannir l’amour légitime, bien plus ancien que lui. Ce n’est pour ainsi dire que d’hier, et depuis qu’on a dépouillé les jeunes gens pour les exercices du corps, qu’il s’est glissé furtivement dans les gymnases, où d’abord il n’a gagné du terrain que peu à peu. Mais ensuite, s élevant par degrés, il est devenu plus hardi, s’est montré librement dans ces lieux publics, et il n’a plus été possible de le contenir. Fier et insolent, il ose outrager l’amour conjugal, cette source féconde d’immortalité pour l’espèce humaine, et qui rallume sans cesse le flambeau de la vie à mesure que la mort vient l’éteindre. On dit que la beauté est la fleur de la vertu ; or, prétendre que les femmes ne portent point de ces fleurs précieuses, et que leur naturel ne soit pas fait pour la vertu, c’est soutenir une absurdité. Sans parler de leur chasteté, de leur prudence, de leur justice et de leur fidélité, une foule de traits éclatants ne prouvent-ils pas assez que la force, l’audace et la grandeur d’âme leur sont naturelles ? Eh quoi ! elles peuvent avoir toutes les autres vertus, et l’on voudrait qu’elles fussent incapables d’affection et d’amitié, qu’elles aiment leur mari et leurs enfants au-dessus de tout ; elles méritent de trouver dans le cœur de leur mari le même amour. Cet amour des maris pour leurs femmes n’est pas seulement une justice qu’ils leur doivent, c’est le salut et le bonheur du mariage : car aimer est encore un plus grand bien que d’être aimé, parce qu’il préserve le mari des fautes qui font la ruine des maisons. Toute autre affection est sujette à des ruptures, a des sé-