Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 1, A-Am.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LVIII
PRÉFACE.

contrées de l’Europe et du reste du monde. Un succès de cette importance, sans égal dans les fastes de la littérature, est un témoignage irrécusable en faveur du mérite intrinsèque de l’œuvre, comme aussi en faveur de la civilisation. Les imitateurs étrangers qui ont cherché à substituer à cette encyclopédie des plagiats patents ou dissimulés, auraient dû comprendre que le moyen de la supplanter n’était autre que celui de la surpasser. Le plus juste éloge que l’on puisse faire du Lexique de la Conversation, c’est de l’appeler la Bibliothèque de la famille et le Trésor littéraire des gens du monde. Malheureusement la langue allemande n’est pas un idiome universel.

Ici se termine notre revue des travaux encyclopédiques de l’Allemagne ; nous regrettons vivement de ne pas consacrer plus de lignes à cette laborieuse et studieuse Allemagne, où les idées théologico-philosophiques poussent comme l’herbe sur un sol généreux ; malheureusement il n’en est pas ainsi pour la spécialité qui nous occupe ; nos investigations restent sans objet,

Et le combat finit faute de combattants.

Cependant, nous éprouvons le besoin de revenir un peu sur nos pas. Au début de cette revue germanique, nous avons déploré l’absence d’un dictionnaire de la langue, d’un dictionnaire vraiment national. Eh bien, une œuvre de ce genre est en train de naître à Leipzig, c’est le dictionnaire des frères Grimm, commencé en 1850, continué par les docteurs Rudolf Hildebrand et Carl Weigand, et dont le cinquième volume est aujourd’hui en cours de publication. Ces savants laborieux ont voulu couronner leur carrière par un grand travail lexicographique, et doter leur patrie d’un dictionnaire qui fût, en quelque sorte, le résumé des recherches de leur vie entière. Dans un pays comme l’Allemagne, où pas une académie, quels que soient ses titres, n’a pu imposer ses décisions au langage ; où personne ne veut se soumettre, nous ne dirons pas au joug, mais à la direction d’un corps savant, quelque illustre qu’il puisse être ; où aucune règle générale ne peut prévaloir sur la forme individuelle que chacun veut donner à sa pensée ; où, en matière de style et de littérature, le seul mérite personnel des écrivains réussit à constituer une autorité ; où Leipzig ne le cède pas volontiers à Francfort, Francfort à Heidelberg ; Heidelberg à Iéna, Iéna à Berlin, etc. ; il n’y avait peut-être qu’un seul moyen de composer un dictionnaire dans le sens rigoureux de ce mot, un Thesaurus linguæ germanicæ, c’était d’invoquer, à l’appui de chaque mot, de chaque expression, tous les écrivains connus, acceptés, incontestés, à partir du moment où la langue se trouve définitivement fixée, c’est-à-dire depuis la Réforme. En effet, c’est à Luther, c’est à sa traduction de la Bible que revient l’honneur d’avoir fixé une langue jusque-là flottante, incertaine, divisée de province à province. C’est lui qui a commencé à la régulariser, en donnant une prééminence manifeste au dialecte qu’il avait choisi, et qu’il devait élever à un degré de pureté inconnu jusqu’à lui. Luther a créé ainsi le haut allemand, qui est resté la langue littéraire, la langue des auteurs ; c’est Luther qui se place à la tête de cette longue suite d’écrivains en tout genre, théologiens, poëtes, philosophes, naturalistes, historiens, romanciers, dont les œuvres demandaient à être fouillées pour fournir les matériaux propres à l’édification d’un dictionnaire national allemand. C’est ce qu’ont entrepris les frères Grimm, avec le concours empressé et unanime de leurs nombreux amis. Dans cet ouvrage, le XVIe, le XVIIe, le XVIIIe et le XIXe siècle sont également mis à contribution. Chaque mot est présenté sous ses diverses acceptions et ses différentes formes, depuis l’époque où il a été introduit dans la langue écrite jusqu’à nos jours. Chacune de ces acceptions est déterminée par la synonymie et par le terme correspondant de la langue latine, ou même, au besoin, de tout autre idiome plus propre à préciser exactement la nuance ; à la suite viennent, par ordre chronologique, les nombreux exemples, en vers ou en prose, qui établissent et justifient cette acception. Les patois, ou pour mieux dire les dialectes provinciaux, sont également cités, lorsqu’ils ont été introduits dans la langue littéraire par un poëte, comme Uhland, ou élucidés par un travail philologique, comme le Dictionnaire bavarois de Schmeller. Exécuté à ce point de vue, avec le soin scrupuleux qu’y apportent les auteurs, et qui, dans une pareille œuvre, est la qualité supérieure, essentielle, un semblable dictionnaire est appelé à réunir tous les avantages des dictionnaires renommés de la Crusca, de l’Académie française et de l’Académie royale de Madrid.

C’est beaucoup déjà que de donner un dictionnaire complet de cette langue allemande, si riche en mots composés, et que sa constitution même entraîne incessamment à la création de termes nouveaux. La justification de chacune des expressions, comme nous venons de le dire, par des citations empruntées aux meilleurs écrivains depuis le XVIe siècle, atteste une immense lecture, une prodigieuse érudition ; et cependant, ces parties si remarquables du travail des frères Grimm n’en sont pas les plus intéressantes. Ce qui est incontestablement plus neuf et plus curieux, au point de vue philologique, c’est d’abord la comparaison de tous les mots, soit radicaux, soit composés anciens, avec les formes qu’ils ont revêtues dans les divers idiomes germaniques et scandinaves, le gothique, l’ancien et le moyen haut allemand, l’anglo-saxon, le hollandais, le flamand, le frison, le danois, le suédois, l’islandais, etc. Parfois même les radicaux sont ramenés à un type primitif, le sanscrit, ou comparés à leurs analogues dans la famille slave, qui se rapproche plus des idiomes germaniques que de la branche celtique. En second lieu, c’est la recherche des analogies d’idées, qui, chez les peuples de la race indo-germanique ou plutôt indo-européenne, ont créé des expressions semblables dans les idiomes différents ; recherche qui, en montrant la marche de l’esprit humain dans la formation des langues, éclaire une des phases les plus curieuses de l’histoire du langage. Nous pouvons