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PRÉFACE.

controversées et les plus controversables, sans parti pris polémique, et en leur conservant leur véritable physionomie. Matérialisme, spiritualisme, animisme, sensualisme, idéalisme, mysticisme, éclectisme, positivisme, saint-simonisme, fouriérisme, etc., sont entendus et viennent tous à égal titre plaider leurs causes respectives dans nos colonnes. Nous donnons tour à tour la parole au socialisme et au libéralisme économique ; à la protection et au libre échange ; à la centralisation et à l’affranchissement de la commune et de la province ; au principe des nationalités et au droit international fondé sur les traités ; à la morale dite indépendante, et à celle qui invoque des principes et des sanctions métaphysiques ; à la critique rationaliste des religions et à l’apologétique chrétienne. Nous ne voulons blesser aucune conscience, mais nous voulons allumer tous les flambeaux ; tant pis pour qui se plaît à la nuit et au sommeil ! Le temps des dogmes et des infaillibilités est passé ; il n’y a plus aujourd’hui que des faits scientifiques et des opinions. Or, il est grand temps, ce nous semble, de laisser à la lutte des dogmes et des infaillibilités les moyens purement utilitaires, les armes souvent déloyales des vieilles polémiques, et d’introduire sérieusement dans la lutte des opinions le sentiment de l’honneur et l’idée du droit. L’unité des esprits doit naître désormais d’un libre, universel et incessant examen, et non d’une autorité intellectuelle. Saint Augustin disait : In necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas. Nous appliquons à la lutte des opinions cet aphorisme célèbre, en le modifiant de la manière suivante : In omnibus libertas et caritas, ut in necessariis fiat unitas.

Nous ne sommes pas, nous n’entendons pas être une école, une secte, un parti, une autorité ; nous ne dogmatisons pas, nous n’excommunions pas. Nous repoussons cet exclusivisme étroit qui s’enferme dans un système, s’y cantonne, s’y déclare satisfait, et ferme l’oreille à toutes les voix du dehors. Nous repoussons ces condamnations tranchantes, fondées sur les conséquences dangereuses qu’on prête à telles ou telles idées, et qui arrêtent le mouvement et le progrès de la science. Nous sommes ennemi du préjugé (prœ judicatum), de l’opinion préconçue, de la foi passive, du discipulat. Aucun paradoxe ne saurait nous émouvoir : nous croyons plus funestes les lâchetés que les audaces de l’esprit. Aucune doctrine, si surannée qu’elle soit, ne nous trouve disposé à l’écarter comme indigne de notre attention : nous professons que, pour avoir raison des fantômes, le meilleur moyen est de les regarder en face. Du reste, en toute erreur, ancienne ou nouvelle, nous respectons, nous voulons respecter un effort sincère de l’esprit humain vers le vrai ; le doute provisoire, appliqué à toute matière, nous apparaît comme une sorte de purification mentale nécessaire à qui veut penser et croire par lui-même et pour lui-même, et nous avons la plus entière confiance dans l’efficacité de l’examen sans cesse provoqué et prêt à reviser les résultats d’un premier travail. Pénétrer dans chaque doctrine et faire ressortir l’idée qui en forme le centre et pour ainsi dire le noyau solide, tel est le but principal que nous nous proposons. Si nos opinions personnelles se laissent voir plutôt qu’elles ne s’accusent, si généralement nous ne formulons des conclusions qu’avec réserve et sobriété, c’est que nous voulons amener le lecteur, non à accepter un jugement tout fait, mais à prononcer lui-même en connaissance de cause ; c’est que nous nous fions à la lumière qui jaillira pour lui du choc des opinions contraires, et qui mettra également en évidence les côtés faibles des systèmes et leur véritable force.

Pour les diverses parties que nous venons de passer en revue, nous n’avions pas à innover ; nous ne pouvions qu’améliorer. Le fond nous était fourni, la forme elle-même nous était tracée par nos devanciers ; nous n’avions qu’à tenir compte des progrès de la science actuelle, et à introduire dans notre ouvrage l’ordre sévère, logique, et le principe élevé dont l’absence se fait trop souvent sentir dans les encyclopédies du siècle. Mais ce qui constitue le côté véritablement neuf, original, du Grand Dictionnaire, ce qui lui imprime un cachet tout particulier d’intérêt et d’utilité, ce sont les innombrables articles de littérature et d’art dont nous allons donner un rapide aperçu, articles que le lecteur n’a jamais trouvés réunis dans un même ouvrage, et que nous ne sommes parvenu à élaborer qu’au moyen de recherches et d’études dont il serait difficile de se faire une juste idée. Si quelques omissions ont échappé à notre attention, tenue constamment en éveil sur tant d’objets à la fois, que l’indulgence de nos lecteurs nous le pardonne ; nous nous lançons les premiers, sans précédents, sans guides, dans cette carrière dont l’horizon se reculait sans cesse devant nos regards, et nous avons dû nous armer d’une constance à toute épreuve pour la parcourir, avec la seule ressource d’un travail incessant et de notre volonté.

Il y a tout un monde qui, pour n’avoir jamais joui que d’une existence fictive, ne s’en impose pas moins à nos souvenirs, et dont la vie imaginaire a laissé des traces ineffaçables dans notre histoire littéraire. Il n’est pas plus permis d’ignorer les actions et le caractère de ces personnages enfantés par le génie, que les faits et gestes des hommes célèbres dont la mémoire est restée populaire : Alexandre, Annibal, César, Charlemagne, Henri IV ou Napoléon. Nous voulons parler des héros de romans, de poëmes ou de théâtre, qu’anime une individualité bien autrement puissante que le prestige éteint d’une foule de noms qu’on trouve obscurément enfouis au fond de toutes les biographies. Est-ce que don Quichotte, Gil Blas, Agramant, Amadis de Gaule, Armide, Asmodée, Astrée, Céladon, Clarisse Harlowe, Lovelace, Pantagruel, Vautrin ; est-ce que Agnès, Alceste, Arlequin, Banco, Bartholo, Basile, Brid’oison, Cassandre, Célimène, Chicaneau, Chrysale, Colombine, Desdémone, don Juan, Falstaff, Faust, Figaro, Georges Dandin, Géronte, Hamlet, Léandre, M. Dimanche, M. Josse, M. Jourdain, Othello, Patelin, Sangrado, Shylock, Turcaret ; est-ce que, même, Bertrand, Bilboquet, Chauvin, Mayeux, M. Prudhomme, Robert Macaire ; est-ce