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LXXII
PRÉFACE.

muniquent cependant une grâce, une force, une vivacité incontestables. Qu’un écrivain, un critique, pour mieux faire ressortir le décousu et l’obscurité d’un raisonnement, en termine le résumé par cette phrase si comique : « Et voilà justement pourquoi votre fille est muette, » une foule de lecteurs ouvriront de grands yeux et ne s’expliqueront pas le moins du monde comment une fille muette vient se fourvoyer au beau milieu de l’exposé d’un système scientifique ou philosophique. Quel est le lecteur dans l’esprit duquel ne s’est pas ouverte une solution de continuité pénible lorsque, voulant suivre le développement d’un principe ou d’une situation, il se heurtait contre une sorte de phrase cabalistique qui venait brusquement dérouter son intelligence ? Qui ne s’est pas, suivant la spirituelle expression de M. Jules Janin, piqué le nez contre un chardon surgissant sous la forme d’un aphorisme grec, latin, anglais, italien ou même français, que tout le monde est censé comprendre aux yeux de l’écrivain, mais dont un nombre très-minime de lecteurs peut faire son profit ? J’ouvre un livre, un journal, j’assiste à une conversation de gens instruits, et, à chaque instant, à propos de tout, je lis ou j’entends des allusions dans le genre de celles-ci : « L’abîme de Pascal. — Le bon billet qu’a La Châtre. — Le nœud gordien. — L’âne de Buridan. — La biche de Sertorius. — Les cailloux de Démosthène. — La béquille de Sixte-Quint. — Le chapeau de Gessler. — La queue du chien d’Alcibiade. — Mon siége est fait. — Nous dansons sur un volcan. — L’ordre règne à Varsovie. — Le talon d’Achille. — L’antre de Trophonius. — Le fil d’Ariane. — La boîte de Pandore. — La lettre de Bellérophon. — Le cygne de Léda. — Le tonneau des Danaïdes. — La pluie d’or. — Les chênes de Dodone. — Rodrigue, as-tu du cœur ? — Moi, moi, dis-je, et c’est assez. — Qu’allait-il faire dans cette galère ? — Attacher le grelot. — C’est toi qui l’as nommé. — Devine si tu peux, et choisis si tu l’oses. — Comment peut-on être Persan ? — Le festin de Trimalcion. — Les dés du juge de Rabelais. — L’abbaye de Thélème. — Les beaux yeux de ma cassette ! — Ab uno disce omnes.Arcades ambo. — Deus ex machina. — Donec eris felix…Facit indignatio versum.Invita Minerva.Justum ac tenacem.Mens agitat molem.Parturiunt montes.Pro aris et focis.Eurêka.E pur si muove.Anch’io son pittore. Traduttore, traditore.Lasciate ogni speranza… — God save the queen.Time is money.That is the question.To be, or not to be, » etc., etc. ; avec une somme même considérable de connaissances historiques, mythologiques ou littéraires, il est évident qu’on doit se trouver quelquefois embarrassé en présence de quelques-unes de ces allusions qui se reproduisent si souvent dans les écrits contemporains. Beaucoup alors ont besoin d’apprendre, mais beaucoup aussi aiment à sentir se réveiller en eux des souvenirs effacés,

Indocit discant et ament meminisse periti.

Le Grand Dictionnaire universel expliquera l’origine de toutes ces locutions, en rendra intelligibles pour tout le monde les applications nombreuses qu’on en fait aujourd’hui, et cela au moyen d’exemples choisis dans nos meilleurs écrivains, précédés d’explications qui feront nettement ressortir les faits et les situations, et ne laisseront aucune obscurité dans l’esprit.

L’immense panorama que nous venons de dérouler n’est pas encore complet ; il manquerait quelque chose aux gigantesques proportions du monument que nous voulons édifier, si nous avions laissé ouverte une lacune dans l’exposition des œuvres de l’esprit humain, en ne mettant pas en lumière la partie la plus attrayante peut-être, une des plus instructives et des plus riches, et celle qui, pour arriver jusqu’à l’âme, commence par frapper les sens. C’est, d’ailleurs, une des formes les plus fécondes et les plus magnifiques sous lesquelles s’est traduite l’activité des plus belles intelligences, et nous lui avons réservé une large place. Dorénavant, on n’aura plus besoin de recourir à des auteurs spéciaux, tels que Winckelmann ou Vasari, pour connaître et apprécier les créations des plus illustres artistes ; depuis Apelle et Phidias jusqu’à MM. Ingres et Courbet, Etex et Jouffroy ; depuis l’architecte inconnu qui a dressé la grande pyramide de Chéops, jusqu’à M. Baltard, auquel nous devons les Halles centrales de Paris. Quelque immense que soit cette nouvelle carrière, nous nous y sommes engagé courageusement, les yeux à demi fermés ; car, autrement, peut-être eussions-nous hésité à nous y lancer, quand un horizon si vaste s’ouvrait devant nous.

Le goût des arts, qui semblait être autrefois le privilège de quelques riches Mécènes, s’est répandu, depuis le commencement de ce siècle et particulièrement pendant ces dernières années, dans toutes les classes de la société. Aussi n’est-il pas d’étude qui ait plus progressé que celle de l’art, de ses principes, de ses applications, de son histoire. Le Dictionnaire universel a cru devoir accorder une place d’autant plus large aux sujets que cette étude embrasse, qu’ils n’ont guère été traités jusqu’ici que dans des monographies spéciales, accessibles seulement à un petit nombre de lecteurs. Il n’existe pas de dictionnaire complet de l’art : sans avoir eu la prétention de combler entièrement cette lacune, nous avons voulu, du moins, que notre encyclopédie offrît des réponses succinctes à la plupart des questions qui pourraient être posées sur la matière.

Dans l’exposé des différentes théories auxquelles donne lieu l’étude de l’art envisagé dans son essence, nous n’avons apporté aucun parti pris ; c’est avec la même indépendance d’idées que nous avons examiné et apprécié les doctrines des