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rosé dans toute sa longueur par la rivière de l’Allier, tandis qu’une infinité de ruisseaux et de petites rivières le sillonnent en tous sens. Sur sa surface, on observe* plusieurs montagnes isolées, formées la plupart par des éruptions volcaniques. Les petites montagnes et les coteaux, seines çà et là dans la plaine produisent par leurs heureuses dispositions des contrastes piquants et des effets admirables ; de telle sorte que cette contrée n’est pas seulement une plaine des plus fertiles de France, mais qu’elle présente, surtout sur les bords de l’Allier, des paysages pittoresques et riants. Les principales productions de la Li» magne sont les céréales, tes légumes secs et les fruits ; les vins de ce pays ne méritent plus leur ancienne réputation.

LIMAILLE s. f. (li-ma-lle ; II mil, — rad. limer). Techn. Parcelles de métal qu’on détache en limant : Limaille de fer. Limaille d’argent. Limaille d’acier.

Limaille (la sainte), insigne relique du prince des apôtres, fort en honneur chez les propagateurs zélés de la dévotion aux chaînes de saint Pierre. On connaît par les Actes des apôtres la délivrance miraculeuse de ce saint, qui abandonna, on le sait, la profession de pécheur de poissons pour celle de « pêcheur d’hommes, » ainsi que le lui ordonna Jésus. À défaut de la tradition, la peinture serait encore là pour nous montrer comment, arrêté une première fois à Jérusalem par ordre d’Hérode Agrippa, qui avait fait trancher lu tète à saint Jacques le Majeur, un ange du Seigneur, auquel les artifices des geôliers d’alors étaient fort indifférents, ouvrit les portes de sa prison et toucha ses chaînes qui tombèrent d elles-mêmes. Ces chaînes furent, il paraît, pieusement recueillies par les fidèles. Ceux-ci ne permirent pas, disent les écrivains catholiques, que le monument admirable delà protection de Dieu envers son vicaire restât dans l’oubli et fût profané en servant à lier de vrais criminels. Ils les achetèrent, et bientôt elles furent en honneur dans tout l’Orient : en les touchant, on obtenait des prodiges. L’ange n’étant point venu (l’histoire est muette sur les motifs de son abstention) dégager saint Pierre de sa deuxième incarcération à la prison Mamertine, où il était avec saint Paul, saint Pierre subit le martyre. Les fidèles de Rome obtinrent de ses bourreaux la chaîne qui avait lié ses membres, et cette chaîne fut retrouvée miraculeusement, ou peu s’en faut, sous le pontiiicat-de saint Alexandre Ier, vers l’an 116. Au va siècle, Juvénal, évêque de Jérusalem, ayant donné à l’impératrice Eudoxie, femme de Théodose le Jeune, les chaînes que saint Pierre avait portées dans cette ville par ordre d’Hérode, cette princesse en plaça une dans l’église de Saint-Pierre à Constantinople, et envoya l’autre à sa fille Eudoxie, femme de Valentinien III. Le souverain ponlife voulut comparer la chaîne qui venait de Jérusalem avec celle retrouvée précédemment à Rome ; il le lit en présence de nombreux fidèles accourus pour vénérer la religion catholique en cette circonstance extraordinaire. Cette comparaison, entreprise en public, amena un événement qui entrait dans les vues de la Providence : les deux chaînes, rapprochées, se joignirent immédiatement, n’en formant plus qu’une seule, « qu’on dirait avoir été faite par le même ouvrier, » dit l’auteur italien d’une Courte notice sur cette relique, en ajoutant naïvement qu’ainsi Dieu glorifiait, dans la capitale du monde chrétien, les chaînes du premier pontife, pour rappeler aux ennemis des papes que « les persécutions et les ignominies finissent toujours par devenir autant de sujets de gloire et de triomphe pour la papauté, comme de confusion et de honte pour ceux qui la combattent. »

Dès le vie siècle, les papes, comme marque de faveur extraordinaire et de grande prédilection, donnèrent quelques anneaux de cette fameuse chaîne à des personnages importants qui avaient bien mérité du saint-siège ; aux fidèles de moins de conséquence, on donnait un peu de limaille renfermée dans des reliquaires en forme de croix ou de clef. Ces clefs avaient ordinairement la forme de celles de la confession de saint Pierre. On les portait suspendues au cou, afin d’être préservé de tout malheur. L’habitude se répandit bientôt de les appliquer souvent sur les yeux par dévotion. Cette pratique, il est vrai, a été abandonnée par les spécialistes contemporains, qui n’ont pas la foi, bien certainement, puisque dans les cas d’amaurose, par exemple, ils recourent à des remèdes moins miraculeux, mais plus certains.

La sainte limaille a été envoyée au roi des Lombards Autharis, à Euloge, patriarche d’Alexandrie, qui obtint par surcroît un peu de limaille des chaînes de saint Paul, à Anastase, patriarche d’Antioche, à Récarède, roi des Visigoihs, à Childebert, roi des Francs, a la reine de l’Angleterre du Nord, épouse d’Oswin, à Charles Martel, à Charlemagne, au roi de Danemark Acon, à Alphonse, roi de Castille, etc. Ce n’étaient point là de petites gens, on le voit. Toutefois, comme les saintes chaînes conservées dans la basilique de Saint-Pierre-aux-liens diminuaient à vue d’œil par

suite des largesses pontificales, on cessa d’en détacher des parcelles, à plus forte raison d’en distraire des anneaux, qui, eussent-ils été aussi nombreux que les soixante-trois doigts de saint Jérôme réunis aux vingt-six têtes de

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sainte Julienne et aux dix-sept bras de saint André, honorés un peu partout, n’auraient pas tardé à s’épuiser. On se contenta, et la pratique a duré jusqu’à nos jours, de les faire baiser, d’y faire toucher des objets de dévotion, tout au plus de donner quelques morceaux des bandes de linge dont elles sontenveloppées.lorsqu’elles ne sont pas exposées à

la vénération des fidèles ; seul, dans les temps modernes, Benoît XIV fit don à Bologne, sa ville natale, d’une clef d’or renfermant de la sainte limaille. C’est là une faveur qui, depuis lui, n’a pas été accordée ailleurs. Comme on doit bien le penser, après les refrettables libéralités faites à Charles Martel, Acon, au Visigoth Récarède et autres princes peu soigneux, et qui, par leur coupable incurie, ont laissé s’égarer des dons inestimables, les saintes chaînes, sans parler des ravages de la lime, ne sont plue entières. L’une a vingt-huit anneaux, l’autre cinq ; c’est un pieux écrivain moderne qui nous l’apprend, sans nous dire en même temps comment l’une peut se distinguer de l’autre, puisque, après le prodige de leur adhésion spontanée, elles parurent n’en former plus qu une, «qu’on dirait avoir été faite par le même ouvrier. • C’est là un point obscur qu’il serait bon d’éclaircir. L’église de Sainte-Cécile, à Rouen, possède à elle seule sept des anneaux de la sainte chaîne ; Avignon en eut cinq : que sont-ils devenus ? Metz enfin, par l’intercession de l’évêque Théodoric, en obtint un du pape Jean XIII. C’est peu, mais c’est déjà beaucoup pour une relique si’ehère.

LIMAILLEUX, EUSE adj. (li-ma-lleu, euze ; Il ii)ll.-7 rad. limaille). Métall. Se dit des fontes très-chargées de carbone, et qui fondent difficilement,

LIMAIRE s. m. (li-mè-re). Pêche. Jeune thon encore très-petit.

LIMAN s. m. (li-man — du gr. leimàn, terrain humide). Nom donné aux lagunes de" la mer Noire.

LIMAN (Louis-Théodore), voyageur prussien, né à Berlin en 178S, mort en 1820. Il s’adonna avec un tel succès à l’étude du dessin et de l’architecture, qu’il reçut une pension de l’État pour aller compléter son éducation artistique à l’étranger. Après avoir reçu h Paris des leçons de Percier, il se rendit en Italie (181-1), étudia les ruines d’Herculaimm, Pompéi, Pœstum, et revint en 1819 à Berlin. Linian était depuis peu de temps professeur à l’Académie d’architecture lorsqu’il accompagna, avec des savants et des artistes, le comte Minutoli en Égypte et dans la Cyrénaïque. Il fit de nombreux dessins dé monuments et mourut épuisé par les fatigues du voyage, deux jours après le retour de la caravane à Alexandrie. Ses notes et ses dessins ont été utilisés dans le Voyage au temple de Jupiter Ammon par le baron de Minutoli (Berlin, 1821, in-4<>)..

LIMANDE s. f. (li-man-de — probablement de lime, à cause de la peau rugueuse de ce poisson). Ichthyol. Poisson plat, de la famille des pleuronectes : Limande frite.

— Mar. Bande de toile goudronnée, dont on enveloppe un cordage pour le garantir du frottement.

— Constr. Pièce de bois plate et étroite dans une charpente. Il Pièce de bois qui tient les pales d’un étang ou d’un moulin.

— Techn. Règle large et plate dont se servent les menuisiers.

— Encycl. La limande est un poisson plat, long de om, 35 au plus. Elle ressemble beaucoup à la plie ; mais elle en diffère par son corps plus épais, ses écailles plus grandes, l’absence de tubercules près des ouïes. Elle est de forme ovale ; sa couleur est jaune en dessus, blanche en dessous ; sa tète est petite ; ses écailles sont dentelées ; elle a les yeux saillants, la nageoire caudale échancrée en croissant. Ce poisson est assez commun dans toutes les mers de l’Europe, et surtout dans l’Océan. On en trouve toute 1 année ; mais la meilleure saison pour pêcher les limandes eSt depuis octobre jusqu’en janvier. Elles sont encore bonnes en mars et avril, lorsqu’elles ont leur laite ou leurs oeufs ; mais plus tard elles sont maigres. Ce poisson a une chair blanche, molle, un peu glutineuse, mais très-délicate quand elle est fraîche ; il supporte bien le transport et se conserve assez longtemps.

LIMAN DE LLE s. f. (li-man-dè-le — dimin. de limande). Ichthyol. Genre de poissons, voisin des limandes.

LIMANDER v. a. ou tr. (li-man-dé — rad. limande). Mar. Envelopper d’une limande : Limander un cordage.

— Constr. Garnir d’une limande. LIMAS s. m. (li-mâ). V. limace.

LIMATODE s. f. (li-ma-to-de). Bot. Genre de plantes, de la famille des orchidées, tribu des vandèes, comprenant plusieurs espèces qui croissent à Java.

LIMATULE s. f. (li-ma-tu-le — dimin. de lime). Moll. Genre de mollusques bivalves, formé aux dépens des peignes.

LIMAY, bourg de France (Seine-et-Oise), ch.-l. de cant., arrond, et à l kilom. N.-E. de Mantes, sur la rive droite de la Seine, qui le sépare de Mantes ; pop. aggl., 1,304 hab.pop. tôt., 1,333 hab. Carrière de pierre. Commerce de vins. L’église paroissiale, du style ro LTMA

man (xite siècle), surmontée d’une tour carrée, avec flèche octogonale, renferme une cuve baptismale très-ancienne et richement sculptée, et une pierre tombale portant une curieuse inscription hébraïque. Le bourg est dominé par une haute colline qui porte le château des Cèles tins et l’ermitage Saint-Sauveur, dont la modeste chapelle attire de nombreux pèlerins.

LIMAY1SÀC (Paulin), journaliste français, né à Caussade (Tarn-et-Garonne) le 26 février 1817, mort à Cahors au mois de juillet 1868.11 était fils d’urf médecin, commença ses études à Montauban, et les acheva avec succès au collège de Henri IV, à Paris. En 1S40 il débuta par quelques articles littéraires à la Revue de Paris, puis il passa en 1843 à la Revue des Deux-Mondes, dont il fut, jusqu’en l’année 1845, un des rédacteurs les plus assidus. Chargé de la chronique littéraire du mois, il y rédigea de plus, sous le titre général de Simples essais d’histoire littéraire, une série de travaux dont quelques-uns furent remarqués. Nous citerons entre autres : la Femme moraliste, la Poésie symbolique et socialiste, l’Esprit de désordre en littérature, Du roman et de nos romanciers, De l’esprit critique en France. Il y publia en dernier lieu un roman humoristique et philosophique, intitulé VOmbre d’Eric, qui parut ensuite séparément (1845, in-8u). En 1849, Paulin Limayrac présenta au Théâtre-Français une comédie en cinq actes et en prose, la Comédie en Espagne, qui fut reçue, mais dont la représentation ne put avoir lieu à cause des événements politiques. Elle n’en valut pas moins cinq ans plus tard à l’auteur la croix de commandeur de Charles III d’Espagne.

Connu pour l’indépendance de ses idées (il avait alors le libéralisme bulozophique), Paulin Limayrac, de la revue de M. Buloz, première école, passa au journal de M. Emile de Girardin, seconde école ; il rédigea le feuilleton de critique littéraire de la Presse, depuis le mois d avril 1852 juqu’au mois d’août 1855. I ! a fait un choix des articles écrits pendant cette période, et les a publiés sous le titre de Coups de plume sincères (1854, in-8°). Attaché, en mai 1S5S, à la rédaction politique du Constitutionnel, où il fit aussi des comptes rendus littéraires, il passa en 1858 a la Patrie, en 1861 au Pays, et revint, la même année, en qualité de rédacteur en chef au •Constitutionnel. Dans tous ces journaux officieux, l’auteur des Coups déplume sincères avait dû, on le pense bien, prendre une attitude nouvelle. Cette attitude avait été récompensée, dès le 15 août 1856, par la croix de chevalier de la Légion d’honneur, et, en 1861, par celle d’officier. Devenu tout à coup, par un singulier revirement, une « brillante personnification de la presse gouvernementale, » comme on l’a appelé, Paulin Limayrae eut à tenir un rôle difficile. Toujours sur la défensive, harcelé sans cesse par la presse opposante, criblé de traits épigrammatiques, plaisanté comme peu de journalistes l’ont été, il lui aurait fallu un talent exceptionnel, presque du génie, pour se soutenir contre une polémique sans fin ni trêve. Du talent, il en avait ; mais la tâche était lourde, si lourde, si pénible, qu’il voulut s’en défaire. Epuisé, hors d’haleine, il aspirait à se reposer dans quelque grasse sinécure impériale ; mais le journaliste officieux s’appartient-il ? Repoussé par ses anciens amis comme un renégat, il faut qu’il se donne tout entier à ses nouveaux amis, qui sont ses maîtres, qui disposent de lui comme d’une chose en retour des honneurs qu’ils lui donnent et du prix qu’ils ont mis à sa défection. I) faut qu’il aille, et toujours et sans cesse ; la livrée qu’il porte s’est attachée à son corps comme la robe de Nessus au corps d’Hercule. Comment s’en débarrasserait-il ? Il faut donc que malgré fatigues et souffrances il la garde jusqu’à la mort. C’est là ce qui arriva ou à peu près à Paulin Limayrac, un des plus vaillants, un des plus fermes, un des plus capables parmi ces aventuriers avides de fonctions et de croix, toujours prompts à sauver la caisse, enrégimentés pour défendre l’Empire du 2 décembre aux frais du budget. Les journaux ont soulevé un coin du voile sous lequel se démenait le rédacteur en chef du Constitutionnel, dégoûté de son rôle actif et ardent à poursuivre un emploi plus doux. Son départ du Constitutionnel, annoncé sans cesse à compter de la fin de 1867, fut pendant des mois sans cesse contredit. On lui désignait des remplaçants qui disparaissaient aussitôt après s’être montrés. On le disait une fois conseiller d’État, une autre fois préfet, puis receveur particulier ou bien quelque autre chose de plus ronflant et de plus superbe encore ; chacun le croyait parti loin, bien loin, au diable, et tout à coup il ressuscitait journaliste, et disait sur l’événement du jour de grandes paroles qui n’en finissaient plus d’onction et de prétention. Cela s’appelait invariablement le dernier mot de la situation. Ces résurrections égayaient fort la presse opposante. Voici en quels termes M. Alfred Deberle en parlait dans le Courrier Françuis du 16 avril 1868 ; son article pourrait s’appeler : Portrait d’un journaliste officieux du second Empire :

« Homme étrange que M. Paulin Limayrac, et bien fait pour inspirer aux populations qu’il a mission d’éclairer de vagues et secrètes appréhensions I Rocambole a pu dire son dernier mot, car ainsi l’a voulu M. Ponson du

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Terrail ; quant à lui, Paulin Limayrac, de Caussade (Tarn-et-Garonne), il ne dira jamais le sien. Seulement, de loin en loin, il semble le dire ; après quoi, une trappe s’entr’ouvre sous ses pieds, et il s’y enfonce majestueusement en jetant une œillade pleine

de suc et d’intelligence politique à ses contemporains. Vous le croyez disparu ? Pas du tout, une trappe nous l’a ravi, une trappe nous le rendra. La résurrection de Rocambole est un fait isolé ; qui comptera jamais les résurrections de Limayrac ? Limayrac vit-il ? Limayrac meurt-il ? Il ressuscite, et c’est là sa mission. De la boîte à surprise où l’enferme la raison d’État, il s’élance aux heures graves, poussé par un ressort invisible, et laisse tomber de haut des paroles cabalistiques que certains journaux de son bord recueillent à genoux, le front dans la poussière, et que certains autres ont la bonté de commenter. Un tel personnage n’a pas été sans rendre de grands services à la chose publique, de ces services qui se devinent bien mieux qu’ils ne s’expliquent, et vous sentez, j’imagine, qu6 les 25,000 francs de traitement qu’il touche annuellement, pour faire les beaux jours du Constitutionnel et terrasser l’hydre de l’anarchie, ne sauraient payer à sa juste valeur un homme dont le dernier mot n est pas encore dit.

a On avait donc’récemment parlé entro ministres de le récompenser selon ses mérites, et d’en faire, par exemple, un conseiller d’État ou quelque chose d’approchant ; un peu plus tard, on a jugé qu’il ferait mieux, en achetant quelques mollets, dans les souliers à boucles d’un maître des requêtes de première classe à la cour des comptes ; et enfin on s’est arrêté à la lumineuses pensée de le créer d’un coup préfet du second Empire. J’oubliais : une recette générale lui avait auparavant été offerte, et déjà le cautionnement était trouvé, Ibrsqu’il fut dit que l’habit préfectoral, brodé et chamarré, lui irait comme un gant ; à parler sans façon, ses amis eurent quelque crainte, trouvant que l’épée à pommeau de nacre serait un peu trop longue pour ses jambes amenuisées ; mais lui allait toujours, sachant bien qu’un préfet, quoi qu’il arrive, est toujours grand aux yeux de ses administrés ; d’autre part, ils se réjouirent, disant que, si la taille lui faisait défaut, il avait en revanche une superbe tête à porter claque ; mais dé même que, pour faire un civet, il faut un lièvre, pour faire un préfet il faut nécessairement une préfecture. Celle de Lotet-Garonne fut mise sur le tapis, et, huit jours durant, maître Paulin put croire qu’il retournerait bientôt dans cette chère Gascogne qui l’avait vu naître, et qu’il lui serait donné, pour se débarbouiller du grand style, de converser en langue maternelle avec les contribuables d’Agen, de Marmande et de Nérac, patrie des terrines de foie gras truffé ; mais voilà qu’au moment de boucler sa valise on vient apprendre au préfet en herbe que ce n’est plus, toute réflexion faite, Lotet-Garonne qui le possédera, mais le département voisin, le département des Landes. Sur ce, Mont-de-Marsan s’apprêtait déjà à mettre dehors tous ses lampions et tous ses drapeaux ; M. le maire préparait sa harangue, et M. le curé sa bénédiction ; les pompiers passaient leurs casques au blanc d’Espagne, et l’on cherchait parmi les héritières de bonne maison la colombe immaculée qui viendrait tremblante et rougissante complimenter le premier fonctionnaire du département, et semer des fleurs sous ses pas, lorsque tout à coup le ressort invisible dont je vous parlais plus haut céda sous une pression mystérieuse. Adieu recettes générales et prélectures ! cour des comptes et conseil d’État, adieu ! La trappe qui devait nous rendre Paulin Limayrac s’ouvrit brusquement, et pendant que l’audacieux Baudrillart disparaissait par le trou du souffleur, Limayrac, l’invincible, réapparaissait, lui, sa plume sincère à la main, en lête de ce brave et vieux Constitutionnel qui le pleurait, hélas I par les yeux de ses huit mille abonnés ; son retour a causé un émoi que vous comprendrez aisément quand je vous rappellerai qu’en pleine semaine sainte, le 9 avril 1868, il a laissé tomber cette sentence un peu maigre, mais édifiante : Plus ta France sera armée, moins la guerre sera probable... Il paraît que, par ce temps de mobilisation k outrance, il fallait dire cela à tout prix, et que cela fût dit par M. Paulin Limayrac en personne... »

Enfin Limayrac cessa pour tout de bon d’être journaliste officieux ; il fut appelé k d’autres fonctions, comme l’écrivit naïvement le Constitutionnel, c’est-à-dire nommé préfet du Lot. Son entrée, en juin 1S68, dans la bonne ville de Cahors donna lieu à toutes sortes de descriptions plus ou moins imagées qui firent le tour de la presse parisienne. Les malins du journalisme avaient pensé que le fameux serpent de mer trouverait un moyen de venir au-devant de son ancien patron. Ce ragoût lit défaut. « Je vais enfin pouvoir me reposer, avait dit le rédacteur en chef du Constitutionnel en quittant Paris ; j’en ai grand besoin. » Le pauvre nouveau préfet ne se doutait pas qu’il allait en effet se reposer, mais se reposer pour toujours. À peine installé, il mourut de la rupture d’un anévrisine. Il venait de faire pendant vingt jours une tournée de conseils de révision, et était rentré très-fatigué dans son hôtel de Cahors.

Il ne restera guère de lui que le souvenir