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mier appareil. Le nom de cette digne fille était devenu populaire. Une croix particulière, frappée en son honneur, lui fut envoyée par le gouvernement français, et tous les souverains étrangers, à l’exception de celui de l’Espagne, la récompensèrent par des médailles d’or.

MARTHE (ScÉvole DE SAINTE-), poète latin moderne. V. Sainte-Marthe.

Marthe in Folle, poème de Jasmin (1844). Le sujet de cette idylle dramatique, pleine à la fois d’émotion et de rite, est emprunté à la réalité. Le poète a connu son héroïne, morte à Agen en 1834. ■ Nous autres petits drôles, dit-il, nous la tourmentions sans crainte, quand elle sortait pour remplir son petit panier vide. Pendant trente ans on a vu la pauvre idiote tendre les mains à notre chanté. Dans Agen, on disait quand elle passait : Maliro ! un souldai ! (Marthe I un soldai ! ) ; et Marthe, qui avait peur des soldats, fuyait vite. Aussi, elle ne sortait que deux fois la semaine, et lépeuple disait en la rencontrant : Maliro sort, diou abë talen ! (Marthe sort, elle doit avoir faim t). Le potHe, se souvenant du gracieux fantôme de la pauvre folle, de sa gentillesse sous les haillons, de sa terreur quand passait un militaire, sa prend d’intérêt pour cette créature étrange, et recherche son passé. La scène s’ouvre en 1798, le jour du tirage au sort des conscrits du village. Marthe et sa compagne Annette, attendent sur les bords du Lot, entre les toult’es d’ormes, le retour des jeunes gens du pays. L’anxiété leur serre le cœuv ; car elles ont toutes deux leur amoureux "parmi les conscrits. Annette propose de tirer les cartes et d’interroger ainsi l’avenir ; Marthe y consent, et voilà que, tremblantes, elles tentent le sort. Le hasard d’abord favorise Marthe ; Marthe espère, mais bientôt survient une fatale dtune de pique, présage de quelque malheur. Au même moment, le chemin retentit du bruyant tapage du tambour, des fifres et des joyeuses chansons. C’est le cortège des heureux, des épargnés, qui passe. Marthe s’élance à la petite fenêtre de sa chambre, et bientôt elle retombe évanouie ; elle a bien vu le fiancé d’Annette dans la bande joyeuse, mais le sien, Jacques, y manquait. Deux semaines plus tard, la légère Annette sort de l’église eu toilette de mariée, tandis que de la maisonnette de Marthe s’en va un conscrit, la larme à l’œil, le sac sur le dos, après avoir dit à la pauvre fille toute baignée de pleurs : « On peut revenir de la guerre, attends-moi à l’autel. » Le second chant est rempli par les peintures familières de la vie de Marthe, attendant son fiancé. Elle travaille sans cesse pour grossir son petit pécule, et l’ingrat ne lui donne pas de ses nouvelles. Lasse des tortures que lui cause l’absence de Jacques, elle vend tout ce qu’elle possède et se décide à racheter son amoureux. 2,000 francs économisés sou par sou sont portés par elle au curé, qui doit les faire parvenir à Jacques, mais sans lui nommer celle qui les envoie : il le devinera bien. Enfin Jacques, racheté, est en inarche pour revenir’au pays. Enfant naturel, il croit que sa mère s’est décidée à le reconnaître, et que c’est à sa générosité qu’il doit sa libération. Marthe, heureuse de cette nouvelle que lui apporte le curé, se réserve de détromper son amoureux, et jouit par avance de sa surprise, de sa reconnaissance. Enfin le grand jour arrive, et tout le village court à la rencontre du soldat : Jacques n’est pas seul, il revient avec une femme, la sienne ! Un cri aigu s’échappe de la foule..., on croit que Marthe va mourir. Au contraire, elle fixe gracieusement ses yeux sur Jacques ; puis elle rit... du rire de la folie I Bientôt, durant une nuit, la pauvre insensée s’échappe et s’enfuit dans les rues d’Agen. C’est "là, dit en terminant le poëte, que, pendant trente ans, on la vit mendier son pain ; quand elle sortait de son réduit, deux fois par semaine, on disait : ■ Marthe sort, elle doit avoir faim ; » et les enfants s’amusaient à la faire fuir, en lui criant : à Marthe, un soldat I »

Ce poème est un des meilleurs de Jasmin, « C’est, dit M. Ch. Labitte, une fraîche idylle où sont semés avec art des traits de sensibilité et de naturel, et où l’on distingue de plus en plus ce rhytbme habilement mélodieux, ce sentiment délicat des beautés naturelles qui ont fait goûter depuis longtemps les vers du coiffeur gascon. Ce qui plait surtout dans la talent de Jasmin, c’est qu’il a un idéal à lui, et qu’il cherche sérieusement à l’atteindre. Son élégance est savante et travaillée ; il combine longuement ses effets, surtout quand ils sont simples. »

MAKTI (Emmanuel), érudit espagnol, savant linguiste, né à Oropesa, dans le royaume de Valence, en 16G3, mort le 21 avril 1737. Comme il écrivit beaucoup en latin sous le nom de Maninm, et que c est dans cette langue que son biographe, Gregorio y Mayans, a écrit sa vie, il est souvent appelé, par les littérateurs étrangers, Mnriiin<c, Mm-iin ou Manini. Il fit preuve, dés son enfance, d’une précocité singulière et eut, pour apprendre les langues, une facilité qui rappelle celle du fameux Pic de la Miraudole. À dix ans, il composait de jolis vers latins ; à vingt-deux, ans, il parlait et écrivait le grec avec autant de facilité que l’italien et l’espagnol ; cependant il l’avait appris presque seul, à l’aide d’un Hésiode tombé entre ses mains par hasard, mais il se perfectionna à Rome. L’Aca MART

demie des Infecondi et celle des Arcadiens lui ouvrirent leurs portes ; le cardinal Aguire et le duc de Medina-Cœli se le d iputnient comme secrétaire. Le premier lui fit surveiller l’impression de son grand ouvrage, les Conciles d’Espagne, et il rendit le même service à don Nicolas Antonio pour sa Bibliotheca vêtus. Le second, pour lui assurer des moyens d’existence, le lit pourvoir d’un bénéfice, le doyenné d’Alicante, et le nomma son bibliothécaire ; mais la mort l’empêcha de pousser plus loin son protégé. Marti, antiquaire passionné, profita de son séjour en Andalousie pour faire faire des fouilles dans les ruines d’Italica ; il en retira une précieuse collection de médailles et fit, sur l’amphithéâtre de cette vieille ville romaine, un travail qui se trouve dans les Antiquités do Motittaucon, ainsi que la Description du théâtre de Sagonte. Il réunit aussi une collection fort curieuse de manuscrits grecs, les comédies d’Aristophane, presque toutes les harangues de Démosthène, le Gorgias de Platon, etc. Il était lié avec la plupart dos savants de l’époque, principalement avec Interian d’Ayala et le marquis de Mondéjar, et entretenait avec eux une correspondance suivie. Malheureusement, en 1723, épuisé par le travail, il perdit la vue ; depuis cette époque jusqu’à sa mort, arrivée seulement quatorze ans plus tard, il ne fit que languir, privé de la joie des livres, des manuscrits, des médailles qu’il aimait si passionnément.

La liste de ses ouvrages est fort variée ; l’érudition y coudoie la poésie, et il y a bien aussi une petite place réservée au badinage. C’est d’abord la Solitude, imitation des Sylees de Gongora (Valence, 1C82), puis un autre recueil de poésies bizarres, Amalthea géographica, où il chante les métaux, les pierres et les plantes, les oiseaux et les quadrupèdes ; De Tiberis alluvione (1G88, in-4") ; Epistolarum libri XII (Madrid, 1035, in-S»), recueil publié par Mayans, et qui témoigne de la vaste érudition de Marti ; Oralio pro crepitu veutris habita ad patres crépitantes (Cosmopoli, 176S) ; nous ne traduirons pas le titre de ce badinage, assez dans le goût des savants du xvie siècle ; de plus, quatre comédies, dont trois ont été jouées avec succès : Amar y no amar a un tiempa, Que mas infiemo que amor, Tener de ti mïsmo zelos, et une imitation du théâtre grec, Ulysse et Pénélope.

Comme exemple de sa prodigieuse facilité, on cite une traduction qu’il s’amusa à faire, pour un de ses amis, d’un grand nombre d’épigrammes de Martial. Il les traduisit en vers grecs. Il est vrai que son ami, Ayala, pour ne pas rester en compte, lui envoya aussitôt un Anacréon en vers latins. D. Gregorio Mayans a écrit en latin la biographie de Marti, pour qui il eut la plus grande vénération : Jimmanuelis Martini ecclesim Alonensis decanioita, scriptore Gregorio Mayaiiiî’o(Amstelodumi, 17SS). Il l’y compare à l’éminent philosophe Louis Vives, et il a rempli cet essai sur la vis de son ami des renseignements les plus précieux sur les lettrés du règne de Philippe V. Emmanuel Marti avait pour amis les hommes les plus savants de l’Europe, le Père Montfaucon, l’Italien Gravina, Fabretti, et surtout Maffui, à qui il envoya un très-grand nombre d’inscriptions inédites.

MAHT1A ou MARCIA MAJONIA, maîtresse do l’empereur Commode, qui vivait au ne siècle de notre ère. On croit qu’elle était chrétienne et qu’elle usa de son influence sur Commode pour l’empêcher de persécuter les adeptes de la religion nouvelle. L’empereur, qui aimait a singer Hercule, faisait souvent habiller sa concubine en Amazone, et donna, en son honneur, le nom à’Amazanius au mois de janvier. Martia, ayant appris par hasard que son farouche et sanguinaire amant l’avait portée sur une liste de proscription, prévint son projet en l’empoisonnant, puis en le faisant étrangler par un gladiateur (102).

MARTIAL, ALE adj. (mar-si-al, a-lelat. martialis ; du nom de Mars, dieu de la guerre). Guerrier, habile à la guerre, belliqueux : Des peuples martiaux. Avoir l’humeur

MARTIALE,

— Qui est propre aux personnes belliqueuses : Ardeur martialu. Tournure martiale.

— Mythol. roin. Surnom de Jupiter et de Junon.

— Antiq. roin. Jeusc martiaux, Jeux qu’on célébrait à Rome le 1er août, en l’honneur du dieu Mars. wLarins martiaux, Prêtres dé Mars, dont lus rites étaient empruntés aux habitants de Larinum.

— Jurispr. milit. Cour martiale, Conseil de guerre, tribunal militaire. Se dit particulièrement du tribunal créé après le 10 août, pour juger les Suisses et les autres défenseurs des Tuileries. |] Loi martiale, Loi qui autorise l’emploi de la force armée dans certains cas prévus, et en observant certaines formalités : La loi martiale vient d’être proclamée dans le déparlement. Il C’est aussi le nom d’une loi anglaise sur les attroupements,

— Ane. pharm. Se disait des substances dans lesquelles il entre du fer, métal consacré à Mars : Pyrite martiale. H Substantiv. : Les martiaux.

— s. f. Hist. litt. Nom des assemblées littéraires que l’abbé Dungeau tenait chez lui tous les mardis.

— Syn. Marital, belliqueux, guerrier, etc.

V. BELLIQUEUX.

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— Encycl. Loi martiale. C’est le nom que l’on donne, en Angleterre surtout, à la loi militaire, plus sévère et entourée de moins de formalités dans son exécution que la loi civile. Dana certains cas, lorsqu’il y a sédition, et que les lois ordinaires ne paraissent pas suffire à protéger la vie et la propriété des citoyens, alors la loi martiale est proclamée, et la force militaire est appelée à rétablir l’ordre. En Angleterre, il n’y a que l’autorité locale qui ait le droit de proclamer la loi martiale. Si elle abuse de ses pouvoirs dans cette circonstance, elle est justiciable du juge ordinaire, et responsable. La loirnai’tiale anglaise, mutineiij-act, a été votée sous le règno de Guillaume III, à la suite des cruautés que l’ancienne loi, beaucoup plus dure, avait permis d’exercer lors de la révolte du duc de Monmouth. Le mulinery-act doit être renouvelé chaque année. Ce n est qu’après la lecture publique de cette loi, de même qu’après la suspension de Vltabeas-carpus dans la localité indiquée, et pendant un laps de temps déterminé, et encore seulement une heure après l’accomplissement de ces formalités, que la. force armée peut intervenir pour disperser les perturbateurs. Pour l’Irlande, des lois particulières existent ; mais il faut également qu’elles soient renouvelées tous les ans,

En France, on a appelé loi martiale la loi du 21 octobre 1789, qui prescrivait aux municipalités l’emploi de la force militaire contre tous attroupements qui semblaient menacer la paix publique. Cette loi fut rendue à la suite des désordres que la famine avait oc- ■ casionnés dans Paris. Des attroupements stationnaient à la porte des boulangers ; on demandait la baisse ’du prix du pain, et l’on affirmait que les boulangers cachaient une partie des fournées destinées au peuple. Un de ces malheureux, du nom de François, chez qui l’on trouva effectivement quelques pains, quoiqu’il eût annoncé qu’il avait tout livré, fut conduit par la multitude à la place de Grève, pendu à une lanterne, et sa tête fut promenée par la ville au bout d’une pique. La Commune se réunit à la nouvelle de ce triste événement, et elle envoya a l’Assemblée nationale une députation pour la supplier d’assurer les subsistances et de rendre une loi martiale, sans laquelle elle ne pouvait plus répondre de l’exécution des décrets. Robespierre, Buzot et plusieurs autres membres repoussèrent avec énergie l’idée d’une pareille loi : « Ce n’est pas la multitude qui est coupable, disaient-ils, surtout lorsqu’elle manque de pain ! En vain direz-vous au peuple : «Sois tranquille ;» il ne peutl’êtrequeîorsqu’il vous verra sérieusement occupés du soin de le nourrir ou de le venger ! » Barnave, Potion, Mirabeau, Duport soutinrent au contraire la nécessité d’une répression vigoureuse. Ils l’emportèrent, et le comité de constitution fut chargé de s’occuper, séance tenante, d’un projet de loi contre les attroupements ; quelques heures après, la loi était rendue. D’après cette loi, intitulée : loi martiale contre les attroupements, chaque fois que les circonstances sembleraient nécessiter sa proclamation, le canon d’alarme devait être lire, et un drapeau rouge arboré à la principale fenêtre de la maison de ville et promené dans toutes les rues. À l’aspect de ce drapeau, tout attroupement avec ou sans armes devait se disperser ; s’il ne se dispersait pas, les magistrats municipaux’devaient, sommer les personnes attroupées de dire quellé était la cause de leur réunion et quels étaient leurs griefs. Ces personnes étaient autorisées a. nommer six d’entre elles pour exposer leurs réclamations. Après quoi, si le rassemblement continuait, trois sommations étaient faites, dont la première ainsi conçue : « Avis est donné que la loi martiale est proclamée, que tous attroupements sont criminels : on va faire feu, que les bons citoyens se retirent I » À la seconde et k la troisième sommation, il suffisait de dire ; à On va faire feu, que les bons citoyens se retirent ! » Les trois sommations faites, la force militaire devait être k l’instant déployée.

Il fut fait de cette loi une terrible application, au Champ-de-Mars, dans la journée du

17 juillet 1791. V. MASSACRE DU OhAMP-DK-

Mars.

Après le 31 mai 1793, un des premiers actes de la Montagne victorieuse fut d’abolir cette loi si impopulaire. Elle est aujourd’hui remplacée par une législation beaucoup plus rigoureuse : l’état de siège.

MARTIAL (Marcus Valerius Martialis), célèbre poète latin, né à Bilbilis, en Espagne, province de Tarragone, l’an 43 après J.-C, mort vers l’an 104. Il quitta l’Espagne vers l’âge de vingt ans, et vint à Rome chercher fortune. Lé peu qu’on sait de lui, on ne l’apprend que par ses propres vers, car, sauf Pline, aucun de ses contemporains ne l’a mentionné ; les écrivains de la génération suivante n’ont transmis sur lui aucun détail. A l’aide de rapprochements ingénieux entre diverses de ses épigranimes, on est parvenu à reconstituer sa vie intime ; elle est peu édifiante. Pendant les trente-cinq années qu’il passa à Rome, comme on ne lui voit occuper aucun emploi, et que le produit des œuvres littéraires était nul, ou à peu près, on est certain qu’il ne vécut que des libéralités de Titus et de Domitien, dont il se constitua le flatteur en titre, sans compter celles dont le

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gratifièrent de riches particuliers, heureux og l’avoir à leur table et de s’épargner les traits de son esprit caustique. Il îinit par acquérir ainsi quelque fortune ; il possédait une maison à Rome, une villa à Nomentuin, qu’il a souvent célébrée ; Domitien lui concéda les privilèges de l’ordre équestre, le rang de tribun et les exemptions d’impôts accordées aux pères de trois enfants (Jus trium liberorum), quoiqu’il ne fasse nullement mention d’une paternité quelconque, sauf celle de ses œuvres. Mais cette opulence, si toutefois il ne l’a pas surfaite, dut être éphémère ; car Pline le Jeune fut obligé de lui payer son voyage lorsqu’il voulut aller finir ses jours dans sa patrie, « J’apprends que Martial est mort, dit Pline dans une de ses lettres, et j’en ai beaucoup de chagrin. C’était un esprit agréable, vif, piquant. Il avait dans ses écrits beaucoup de sol et de fiel, et non moins d’honnètelô. À son départ de Rome, je lui donnai de quoi faire le voyage. Je devais ce petit secours à notre amitié ; je le devais aux vers qu’il a faits ppur moi. » Lorsqu’il se retira k Bilbilis, il était veuf et sans enfants ; il se remaria avec une femme riche, nommée Marcella, sur les domaines de laquelle il vécut. Sa mort, survenue peu de temps après, ne lui laissa pas le temps de jouir de cette tardive aisance. Martial tient une place à part dans l’histoire de la littérature latine ; auteur de courtes pièces de poésie, dont les plus longues ne dépassent pas quarante vers, il nous est parvenu en entier. Ses épignunraes, au nombre de quinze cent soixante-cinq, divisées en quatorze livres, sont intactes, dans la disposition qu’il leur avait donnée, avec les avis et dédicaces dont il les avait fait précéder. On ne peut guère douter que ce ne tilt leur licence, dont les moines copistes de manuscrits étaient friands, qui leur a valu cette intégrité, tandis que tant de belles œuvres plus chastes ont péri, faute d’être transcrites. Là-dessus grande indignation et regrets plaintifs des moralistes. Cependant la perte des Eoésies de Martial serait bien plus irréparale que celle de n’importe quel chef-d’ceuvre littéraire. C’est que Âlartial a peint Rome au vif, et que sans lui nous ignorerions en grande partie.les mœurs de son temps ; car la satire de Juvénal, son contemporain, est trop-hyperbolique, et d’ailleurs ne pénètre pas dans les détails journaliers de la vie. Martial, comme Mascurille, s’était proposé de mettre, non en rondeaux, mais en épigrammes, tous les faits saillants de son époque, les guerres, les triomphes, comme les querelles conjugales, les mésaventures amoureuses, les jeux du cirque et jusqu’aux simples faits divers. Mais quels faits divers on avait k raconter sous Domitien ! Les combats de lions et d’ours, d’éléphants et de rhinocéros, les supplices raffinés, Laurôolus mis on croix et dévoré par les bètos, une Pasiphaé de rencontre livrée aux ardeurs d’un taureau, tels sont les amusements chantés d’abord par le poêle. Mais ensuite il nous fait pénétrer bien plus profondément dans la corruption de ses contemporains ; en recueillant tous les bruits du jour, les cancans, les médisances, pour les tourner artisteinent en vers, en accablant d’invectives ses ennemis et ses rivaux, il nous montre quels vices honteux gangrenaient cette société pourrie. Les monstrueuses débauches de la Rome impériale apparaissent étalées avec un cynisme complaisant. ■ Il est difficile, dit M. Pierron, do ne pas traiter sévèrement un poûte qui semble étranger aux plus simples notions de la morale et presque à tout sentiment de pudeur. Martial se complaît dans l’obscénité, il s’y vautre avec une satisfaction manifeste. » Quelques critiques v ont été plus indulgents. M. Nisurd dit qu’il était moraliste à sa manière ; que, vivant au milieu de gens vicieux, il était bien obligé de partager leurs vices, et qu’il se vengeait de cette dépravation subie malgré lui en la dénonçant. Malheureusement, ou voit trop quo Martial aimait le vice pour lui-même, et non par contrainte. S’il raconte les turpitudes de ses contemporains, il ne cache pas les siennes, et elles dénotent un homme aussi dépravé que les autres ; il y a seulement dans ces aveux une candeur dont ou doit lui tenir compte. Sans doute il ne s’accuse pas de tous les vices honteux qu’il flétrit chez les Nœvolus, les Gallus et les Mamurra ; mais qu’on juge de ses mœurs : dans une êpigramme, il regrette de n’avoir pas acheté un jeune esclave qui le tentait, et ce qu’il ajoute montre assez qu’il ne le voulait pas seulement pour lui servir à boire (i, 59) ; dans une autre, il déclare à sa femme qu’il va la mettre a la porte parce qu’elle n’a pas pour lui certaines complaisances, qu’il énumère (xi, 104) :

Uxor vade foras, oui moribusAitere nOsiris ;

et dans une pièce du même livre (xi, 43), il lui adresse des sarcasmes encore plus obscènes. Une vieille veut coucher avec lui ; il accepte, mais à condition qu’elle lui donnera de l’argent, du vin, une maison, des esclaves, de la vaisselle plate et quelques arpents do biens au soleil ; et il ajoute en riant :

Non opus est digitis ; sic miki, Phylli, friccu

Et les festins où il est convié 1 montre-t-il assez la soif et le ventre goulu d’un parasite ? Malheur k l’amphitryon si les bons plats lui ont passé sous le nez, si les meilleurs vins ne lui ont pas été offerts ! Il s’en venge par une 3atire sanglante (m, 82). Ce qui lo sauve,